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sion et comme la sensation matérielle d’une défiance qui n’épargne plus rien, ni les choses, ni les hommes. Des traîtres ! Il y en a eu dans tous les temps et dans tous les pays. On en fait justice et tout est dit. Rien n’est perdu pour cela ; rien n’est sérieusement compromis. Mais notre imagination romanesque et mélodramatique change les proportions des objets, au point d’en faire des épouvantails dont nous finissons, en effet, par être sérieusement épouvantés. Il est vrai que cela ajoute beaucoup à l’intérêt du spectacle, et nous nous y grisons avec une volupté secrète et malsaine, sans songer que d’autres sont là qui regardent et écoutent. À nous entendre, tout en France serait atteint jusqu’à la moelle, et il n’y aurait plus une institution à laquelle on pût toucher, sans s’apercevoir aussitôt qu’elle est gangrenée. Ces conclusions nous révoltent, mais il nous plaît d’être les premiers à les exprimer. Naturellement, les journaux du monde entier les reprennent et les commentent, quelquefois avec complaisance. Pourtant, si tout le mal que nous disons de nous-mêmes était vrai, on aurait de la peine à comprendre la prodigieuse élasticité et en même temps la solidité des ressorts qui nous permettent toujours de nous relever de nos chutes et de nous redresser. Redressons-nous donc et regardons le mal en face : il nous paraîtra moins grand.

Nous serions curieux de voir, pour être à même de comparer, les institutions et les hommes des autres pays soumis à des procédés de déformation du même genre : c’est une étude qu’on se gardera bien de nous donner l’occasion de faire. Quand un scandale vient à éclater en Angleterre, en Allemagne, ou ailleurs, on s’empresse d’y pourvoir, mais surtout de l’étouffer : nous, au contraire, nous n’attendons pas qu’un soit terminé pour en inventer un autre. Il nous manquerait quelque chose, si nous n’en aidons pas constamment un sous la main. Veut-on un exemple de la manière dont on procède à l’étranger en pareille occurrence ? Il n’est pas nécessaire d’aller le chercher loin. L’Allemagne, tout récemment, a eu le procès de Tausch, et, à la lueur des révélations qui s’y sont produites, on a pu apercevoir presque à fond les rouages de la police politique. Si jamais une institution a paru pourrie jusqu’à la dernière molécule, c’est bien celle-là. Ah ! nous aurions fait un beau et long drame avec une pareille affaire ! Les Allemands n’ont eu d’autre idée que de s’en débarrasser au plus vite, et par tous les moyens. Comme ils n’avaient pas pris au début des précautions suffisantes, ils ont arrêté et remis le procès pour le recommencer plus tard dans des conditions plus prudentes. On se rappelle à peine comment U s’est terminé : tout le monde, ou à peu