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que nous voulions nous séparer du système continental et sans qu’il croie que nous puissions jamais consentir à jouer le second rôle en Espagne derrière les agens britanniques.

Signé : « Chateaubriand. »


Cette fière dépêche où l’on sent la touche même du grand écrivain, transformé en homme d’Etat et que les bureaux des affaires étrangères n’auraient pu rédiger avec cette précision, venait fort à propos pour montrer à M. de La Garde la pensée de son nouveau ministre et le tirer de la situation fausse où l’avaient placé depuis un mois l’envoi séparé des trois notes de l’alliance à Madrid et les incertitudes du cabinet français. Les agens des puissances continentales avaient déjà demandé leurs passeports, lorsque notre ministre était encore seul en face de la révolution espagnole qui chaque jour devenait plus menaçante pour la personne du roi Ferdinand et plus outrageante pour la France, dans laquelle elle pressentait son ennemi principal. Il fallait en finir et trouver un prétexte de rupture. Il se présenta bientôt. Un officier des troupes constitutionnelles d’Espagne ayant poursuivi quelques guérilleros royalistes qui s’étaient réfugiés dans la vallée d’Andorre, cette tentative constituait le cas de violation de territoire prévu à Vérone. Chateaubriand écrivit aussitôt à M. de La Garde, le 11 janvier 1823 (dépêche inédite) :

« Monsieur le comte, vous êtes dans ce moment au milieu de la crise ; il est de mon devoir de vous soutenir, car je n’ai pas besoin de vous encourager.

Nous ne reculerons point. Chaque jour ajoute à la nécessité où nous sommes de prendre un parti.

« Le territoire français a été violé par un corps de troupes constitutionnelles. Vous verrez les détails de cet événement dans les pièces officielles annexées à cette dépêche. Un fonctionnaire français paraît avoir trahi ses devoirs. Ce qui donne un caractère odieux à cette violation du droit des nations, sans toutefois ajouter à la gravité du délit, c’est que les troupes espagnoles constitutionnelles auraient pour ainsi dire abusé du sol français pour aller surprendre et égorger quelques paysans blessés restés dans un village espagnol qui touche à notre frontière.

« La France ainsi offensée dans ses droits, son honneur et sa générosité, sait qu’elle n’a besoin que d’elle-même pour obtenir