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le commandement à qui vous jugerez convenable. Le Directoire vous verrait avec plaisir à la tête des armées républicaines que vous avez jusque présent si glorieusement commandées. » Barras joignit une lettre particulière et Talleyrand un de ces commentaires auxquels il excellait. Le Directoire, manda-t-il à Bruix, s’en rapporte à vous pour l’instruire de notre situation intérieure et extérieure. Ramenez-le. »

Ces propos sentaient leur Fructidor. Mais Sieyès ne laissa point à ses collègues le loisir de gâcher le bel ouvrage politique dont il portait le plan dans sa tête. Il descendit de sa berline, à Paris, dans la nuit du 6 au 7 juin, et bon eut comme une sorte de répétition, au foyer des artistes, sous la direction de l’auteur, mais en l’absence du premier rôle, de la comédie qui se donna en Brumaire. Les Conseils cassèrent Treilhard, qui n’était pas éligible. Barras, toujours dispos aux journées, se mit au service de Sieyès, épouvanta La Revellière et Merlin, réclama leur démission, le 17 juin-29 prairial. Il leur fit signer un message aux Conseils, dénonçant les manœuvres atroces des Anglais, les complots des anarchistes et des émigrés, le vide du trésor, la confusion et le détraquement de toute la machine politique. Les Conseils en rejetèrent la responsabilité sur les auteurs de Fructidor qui n’avaient pas su exploiter leur victoire. « Pâlissez, imprudens et ineptes triumvirs ! » s’écria un député du Calvados. Le soir, Barras déclara à La Revellière et à Merlin que ces malédictions tombaient sur eux. Ils signèrent leur démission.

Sieyès visait à concentrer le pouvoir : il avait contribué à ramener les seize membres du Comité de Salut public aux cinq membres du Directoire ; il méditait de réduire les directeurs à trois, dont une seule tête, la sienne. En attendant, il n’entendait avoir dans le Directoire que des acolytes nuls, à sa discrétion, et qu’il pût liguer à sa guise contre Barras, avec lequel, un temps encore, il devait compter. Sur ses indications, les Conseils désignèrent Roger Ducos, un conventionnel, futur sénateur, président des Anciens au IS fructidor, et qui vota tout, imperturbablement, depuis la mort de Louis XVI jusqu’à la déchéance de Napoléon : Gohier, jacobin honnête et effacé : Moulin, général obscur, qui passait pour jacobin. Ce fut la dernière révolution du Directoire : personne ne la prit au sérieux. « On ne concevra jamais dans l’étranger, écrivait Sandoz, le 21 juin, le degré de stupeur et de lassitude où ce peuple le peuple de Paris est tombé ; dégoûté du