pousse aux délits, je me demande : Doit-on permettre au caprice des grands propriétaires fonciers de laisser incultes d’immenses étendues de terre, comme ils font en Calabre, diminuant ainsi la production, de telle sorte qu’elle tombe au-dessous des besoins de la population ? Le droit de propriété doit-il être si absolu, qu’il exclue toute interdiction aux propriétaires du sol de négliger et de tenir secrètes les richesses naturelles qui sont en même temps richesse publique ?… C’est le devoir suprême de la société d’exiger que le droit à la propriété soit respecté ; mais il faut que ce droit soit réduit à ses limites raisonnables et discipliné par de sages lois d’un caractère social. »
Nous empruntons ces citations — et nous les pourrions singulièrement prolonger — à deux discours récemment prononcés par M. Dominique Ruiz, procureur du Roi, devant les tribunaux de Castrovillari et de Catanzaro. On peut dire que ces deux discours exposent la théorie et la pratique d’une réforme sociale complète : l’idée de la liberté du contrat y est amendée par un vœu très formel, tendant à l’institution de collèges arbitraux, intermédiaires sérieux et vraiment libres entre les propriétaires et les travailleurs ; l’idée de propriété y est tout ensemble corrigée et justifiée par l’affirmation de la responsabilité sociale du propriétaire ; et cette dernière affirmation est à son tour sanctionnée par un appel à la sage et ferme intervention des pouvoirs publics, protecteurs naturels du sol national et garans du droit des citoyens à l’existence. Un autre magistrat de Catanzaro, M. le substitut Oliva, risquait à son tour, cette année même, un réquisitoire analogue : « Par une loi fatale, déclarait-il, le gros capital dévore le petit ; et, pour quelques-uns qui s’enrichissent, réunissant dans leurs mains toute l’opulence, il y a des centaines de milliers dont l’extrême indigence se tient au-dessous de toute description… Les riches doivent secouer leur égoïsme et leur inertie, en mettant en circulation leurs capitaux pour l’amélioration de l’agriculture et pour le développement des trafics, s’ils veulent être sûrs de conserver les aises et les jouissances de la vie. »
De telles réflexions empruntent un poids fort grave à la fonction des orateurs et à la solennité qui les leur inspira. C’est à l’occasion de la rentrée des tribunaux civils et criminels que ces magistrats philosophes, témoins assidus et autorisés de beaucoup de misères et de fautes, chargés d’épier et de punir les délits tentés