cœur. Et, ayant, après un long et douloureux détour, retrouvé le devoir, parce qu’il était visible, dès l’origine, qu’il avait en lui de quoi le retrouver, Jean ne serait plus qu’un homme qui s’efforce d’être un saint. — Ce serait un peu trop édifiant sans doute : ce ne serait pas, moralement, trop invraisemblable ; et voilà peut-être en quel sens se pouvait poursuivre l’évolution intérieure de Jean de Sancy. L’enfant qui, à quinze ans, rêvait le martyre à cause des palmes, l’aimerait même sans palmes vingt ans après ; et, parce qu’il est né généreux, tel aurait été pour lui l’enseignement de la vie. — Sous quelle forme tout ce que je viens d’indiquer nous devait être présenté au théâtre, ce n’est heureusement pas mon affaire.
Il reste que les deux tiers de la pièce de M. François de Curel tiennent du chef-d’œuvre. C’est un des plus grands efforts de l’art de nous montrer, par des moyens dramatiques, une âme riche et complexe, qui n’est point immuable, mais qui se modifie logiquement sous nos yeux mêmes, soit dans son contact avec la vie, soit dans ses rencontres avec les « questions » qui nous tourmentent nous-mêmes aux heures où nous valons quelque chose. M. de Curel a presque réussi dans cette rare entreprise. — Mais, en outre, il a su, une fois de plus, former autour de ses personnages une « atmosphère » qui leur est propre. Son premier acte sent bien la vie noble, catholique et terrienne (cf. les Fossiles) ; son deuxième acte est un beau drame d’usine et nous fait voir un bel héroïsme, très sobre, d’ouvriers et d’ingénieur. — Les personnages secondaires, les trois frères Charrier, le prêtre, le garde-chasse, l’ouvrier révolutionnaire, sont caractérisés avec une extrême justesse. — Au fond, l’idéal de M. de Curel est encore aristocratique ; il aime Boussard, comme il aimait le chirurgien de la Dernière Idole ; et je crois bien qu’il y a du Carlyle, et même du Nietzsche dans son affaire. Mais il est fort capable, lui aussi, d’ « évoluer », puisque aussi bien il n’a pas osé conclure cette fois ; et ce libre esprit nous ménage peut-être des surprises…
M. Octave Mirbeau est recommandable par un fort bon style, surtout oratoire, d’une tension peut-être un peu monotone, et par une imagination sombre et forcenée. Il y a, dans Sébastien Roch et dans l’Abbé Jules, de sinistres caricatures, d’une grimaçante outrance de mascarons. Il peint très bien les fous. J’ai admiré récemment, dans le Jardin des supplices, son courage à décrire minutieusement les tortures physiques et à nous faire longuement sentir, comme s’il y trouvait lui-même une jouissance, les rapports de l’érotisme avec la cruauté. — Il