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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/220

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« l’illusion » de l’homme que vibre le secret mystérieux de l’évolution historique[1]… » Je crains que ce ne soit, en vérité, gonfler un personnage au lieu de le grandir — et peut-être manquer à la mesure, aux proportions et aux convenances d’un sujet — que d’induire en de telles méditations, à propos d’un tapage nocturne, un brave homme de cordonnier.

Il arrive même que le symbolisme des Maîtres Chanteurs, alors qu’il paraît le plus légitime, produise de singulières conséquences, presque contradictoires avec le fond et l’essence du système wagnérien. Je veux bien que le vrai sujet soit beaucoup moins les amours de Walther et d’Éva que la victoire du nouveau génie sur les vieux erremens de l’école et de la routine. Mais quelle est pourtant la musique qui finit ici par triompher ? En réalité, la plus opposée qui soit à la doctrine ou à l’idéal wagnérien. Tout le rôle de Walther, ou peu s’en faut, ne consiste que dans les trois lieder de la présentation, de l’épreuve et du concours. Délicieux tous les trois, ce sont là, surtout le premier et le dernier (le Preislied), des « morceaux » ou des « airs » véritables. Entre ces admirables chants et ceux de tel ou tel grand maître, les différences ne sont que de caractère, ou de qualité, nullement de nature. Mélodie wagnérienne assurément, et dont on pourrait analyser ici la beauté particulière et neuve ; mais franche, mais simple, mais pure mélodie. Mélodie vocale et très humaine, que la symphonie fait plus gracieuse ou plus forte, qu’elle accompagne et qu’elle enrichit, mais qu’elle n’absorbe et n’étouffe jamais. Mélodie ample et de longue haleine, infinie, si vous le voulez, par sa portée lointaine et profonde, mais parfaitement définie, formelle en ses contours, et partagée régulièrement en des strophes presque pareilles. Ainsi dans le Preislied de Walther, qui devrait être le parfait exemplaire et le type même de l’art nouveau, tous les élémens anciens se retrouvent. Le passé rajeuni, ressuscité, mais le passé refleurit. Et ce n’est peut-être pas la moindre singularité des Maîtres Chanteurs, que cette œuvre de protestation et de combat contre la vieille musique ait pour dénouement ou pour moralité esthétique la dernière reprise et l’épanouissement glorieux d’une romance sublime, mais pourtant d’une romance.

Pas plus que cette musique à ce sujet, ce sujet peut-être ne convenait à ce génie. « Ah ! ma chère, c’est le genre enjoué », le moins fait pour le plus terriblement sérieux de tous les grands peuples et de tous les grands hommes. On a rapporté que Wagner, dînant avec des amis

  1. Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, par le Dr Hugo Dinger.