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nous sommes ici dans l’esprit et la couleur du sujet, dans la vie et dans la vérité. Sans compter que, par une rencontre piquante, le Massenet de cette plaisanterie musicale demeure le plus authentique et le meilleur Massenet, un Massenet qui sourirait de lui-même et nous donnerait une fine parodie de ses procédés favoris et de sa manière la plus séduisante.

Et le dimanche nous irions
Près de l’étang de Villebon
Nous perdre tous les deux dans les bois de Meudon
Et de Sèvres !

De qui serait-elle, sinon du plus enjôleur de nos musiciens, cette mélodie coupée en périodes inégales, précipitée d’abord et puis retenue, épanouie et comme affaissée sur des notes à dessein graves et grasses. Et voyez l’ingéniosité, la souplesse de ce talent subtil. Au quatrième acte, quand Fanny abandonnée viendra jusqu’en Avignon relancer Jean et le reprendre, lorsqu’elle l’abordera, les yeux et la voix noyés de larmes, de la même formule, un peu modifiée, M. Massenet obtiendra de nouveaux et très heureux effets. Pour rappeler à Jean cette vie et ces amours que naguère elle lui promettait, Fanny d’abord aura recours à la mélodie d’autrefois. Leitmotiv alors ? Pas tout à fait. Motif simplement ramené ? Un peu plus. Toujours le motif du café-chantant et de la bohème, mais attendri par des variantes extrêmement délicates d’harmonie et de mode. Ainsi la même note persistera, mais tremblante et comme humiliée ; ainsi deux fois au moins, par le rire et par les pleurs, cette fille aura été vraiment de son temps, de sa condition et de sa race. Et sans doute on aurait souhaité qu’elle le fût plus souvent, surtout plus à fond, on pourra se plaindre encore qu’il n’y ait ici que des détails ; mais ces détails sont précieux.

Avec plus de modernité, j’espérais plus de puissance. De l’œuvre littéraire reprise par le musicien, et par ce musicien, devait jaillir une nouvelle flambée d’amour. Mais j’ai peur que la représentation musicale d’un sujet traité ici pour la troisième fois ne soit inégale à la représentation dramatique et surtout à la représentation romanesque. La faute en est moins aux librettistes qu’au roman lui-même. On n’a pu que découper en scènes sommaires un livre dont l’irrésistible force est dans le développement, dans le progrès continu et lent. Faut-il s’en prendre encore à certaines influences qui sont dans l’air, et que le talent curieux et chercheur d’un maître toujours en éveil ne déteste pas de subir, voire de chercher ? Que n’a pas fait l’auteur d’Esclarmonde et de la Navarraise (je ne cite que les œuvres extrêmes)