indépendantes les unes des autres, que ce qui s’y passe sur un point laisse tout le reste à peu près indifférent, ou, pour mieux dire encore, ignorant. Il faudra de longues années, et des événemens accumulés les uns sur les autres, pour imprimer un mouvement à cette masse prodigieuse, pesante et résistante plus que toute autre au monde. C’est un exercice d’esprit devenu à la mode de comparer la question d’Extrême-Orient à la question d’Orient : peut-être y a-t-il entre elles encore plus de différences que d’analogies. Quoi qu’il en soit, si, depuis plus de cent ans, la question d’Orient n’est pas encore résolue et si, suivant toutes les vraisemblances, elle ne le sera pas encore dans le même temps, on peut juger de celui qu’il faudra pour résoudre la question d’Extrême-Orient. Là aussi, les choses iront lentement, par suite de dégradations successives ; et, comme cela s’est vu dans l’Orient méditerranéen, de fortes et de douloureuses secousses ne produiront le plus souvent que de médiocres résultats. On n’est pas encore arrivé d’une manière certaine à fixer la règle suivant laquelle se désagrège l’empire ottoman, et s’organisent les principautés ou les royaumes qui s’en détachent ; à plus forte raison sommes-nous pour le moment dans l’impossibilité à peu près absolue de nous faire la moindre idée de celle qui s’appliquera à la décomposition du Céleste Empire, si cette décomposition, qu’en somme rien n’annonce, vient en effet à se produire. Nous n’en sommes pas là. Il ne s’agit aujourd’hui, pour les grandes puissances de l’Europe, que de choisir quelques points sur le rivage de la Chine, et de s’y établir, afin de surveiller de là leurs intérêts commerciaux et politiques. On a fait remarquer avec raison que l’Angleterre avait commencé. Voilà de longues années déjà qu’elle est à Hong-Kong. Elle a aussi, et d’autres puissances ont avec elle de véritables colonies à Shanghaï. L’empire chinois, dans son immensité à travers le continent jaune, et son gouvernement à Pékin, ne paraissent pas en avoir éprouvé un inconvénient bien sensible. Des faits du même genre pourront se renouveler, se multiplier, sans produire les conséquences qu’on annonce volontiers comme immédiates. Beaucoup d’eau coulera dans le Yang-tsé-Kiang avant que les destinées nouvelles soient accomplies.
C’est par ces motifs sans doute qu’il faut expliquer le sang-froid que les vieilles puissances, comme l’Angleterre et la France, montrent dans une crise où l’on pourrait croire leurs intérêts engagés. Ils le sont, sans doute, mais non pas au point qu’il faille les considérer déjà comme compromis. Nous avons dit où s’arrêtent les nôtres sur les rivages de la Chine : il serait peu sensé aujourd’hui de vouloir les por-