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UN MUSICIEN POÈTE
SIDNEY LANIER

Poems of Sidney Lanier, new edition 1896, 1 vol. — The Science of English verse, 1 vol. — The English novel, 1 vol. New-York.

Deux génies planent sur la charmante ville de Baltimore, couchée toute rose, sous un soleil qui est déjà celui du Midi, au fond de l’immense baie dans laquelle vient mourir une large rivière ; deux génies poétiques, l’un plus célèbre encore à l’étranger que dans sa patrie, tandis que l’autre est presque absolument inconnu en Europe. Leurs noms : Edgar Poe et Sidney Lanier, l’Ahriman et l’Ormuzd de l’endroit, le démon de perversité et l’ange de lumière ; celui-là emporté par des passions morbides qui le conduisirent à l’ignominie, celui-ci fidèle au plus pur idéal dans sa vie, comme dans son œuvre ; tous les deux marqués par la fatalité, victimes d’une affreuse misère, tous les deux morts jeunes, presque au même âge, après avoir longuement souffert d’un mal qui ne pardonne pas. Ils sont à des degrés différens, avec leurs dissemblances et leurs analogies, la gloire du Sud américain qui ne peut, on le sait, se vanter d’une littérature aussi riche que celle du Nord. Poe, né à Boston, appartient à Baltimore par ses origines ; Lanier, né à Maçon (Géorgie), lui appartient par adoption. Leurs tombeaux sont là : celui de Poe, prétentieux et médiocre, dans l’étroit cimetière d’une église presbytérienne, en pleine rue pour ainsi dire, puisqu’une grille basse le sépare de Fayette Street, jadis à la mode, mais devenue depuis un quartier d’écoles et de petits magasins. L’auteur du Ver Conquérant, toujours poursuivi