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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/320

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les lectures publiques de ses poèmes faites par sa femme, et une société s’est formée pour étudier son œuvre, ni plus ni moins que celle de Browning. Ouvrant le volume unique qui renferme les poèmes, un petit volume d’environ deux cent cinquante pages, Mrs Turnbull me lut les plus beaux avec une émotion communicative en y ajoutant de très précieux commentaires. Elle me peignit la vie toute de mérite, de dignité, de privations fièrement cachées que Sidney Lanier avait menée à Baltimore ; l’infinie délicatesse avec laquelle il esquivait les offres de service de quelques amis ; son travail acharné pour gagner le pain de ses enfans dont il fut longtemps séparé, faute de pouvoir suffire aux besoins d’un ménage, séparé par conséquent aussi de la femme qu’il adorait. Et sur ses maigres et incertaines ressources, il lui fallait prélever de temps à autre de quoi se transporter au Texas, dans la Floride ou la Caroline, au soleil enfin, pour y ressaisir le souffle nécessaire. Tout en écrivant des vers quand le lui permettait un labeur rétribué, il apprenait sans relâche, dévoré du besoin de se tenir au courant de toutes les grandes questions contemporaines, très moderne dans ses curiosités, séduit par la science, épris en même temps de philosophie, d’histoire et de philologie, du vieil anglais surtout dont il pénétra les secrets, ce qui donne à sa langue une saveur si particulière. A tout cela il apportait la hâte impatiente du condamné qui se sent pressé par la mort. Sans crainte et sans faiblesse cependant, il attendait qu’elle lui versât « le coup de l’étrier », heureux quand même par la musique et assez intrépide pour chanter l’Obstacle au lieu de le maudire :


Du chagrin, des ténèbres, des épines, du froid, — Ne te plains pas, ô cœur, car tout cela — Dirige les hasards de la volonté — Comme les rimes dirigent la fougue de l’art.


Je prononce, à propos de son poème le plus célèbre, Sunrise, le mot de panthéisme.

— Oui, me dit Mrs Turnbull, panthéiste, il l’était, ces deux vers l’attestent :


And I am one with ail the kinsmen things
That e’er my Father fathered.


Et je suis un avec toutes les choses parentes — Dont jamais mon père fut le père.

Mais c’était un panthéisme chrétien.

Et, pour me le prouver, elle indique la dernière strophe du