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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/322

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les vierges aux lions, les adolescens dans la fournaise, allumant les bûchers, soufflant la guerre civile : — Je t’adjure, lui dit-il,

Je t’adjure de me laisser libre de vivre avec amour et avec foi, — Libre de trouver par l’amour de l’amour — La chère présence de mon Seigneur dans les étoiles d’en haut,


Mrs Turnbull a trop de tact pour multiplier les anecdotes au sujet de Sidney Lanier ; elle me le montre s’asseyant volontiers à l’heureux foyer où il eut toujours sa place, entrant un soir, sans être annoncé, dans la pièce où nous sommes, vers l’heure qu’on appelle entre chien et loup, pour surgir presque fantastiquement à côté d’elle et de son mari et leur dire de ces choses imprévues, profondes et charmantes dont il avait le secret, que l’on trouve dans sa correspondance, dans tout ce qui a été conservé de lui.

Par exemple, il disait qu’après les objets de toute première nécessité, à savoir une maison, une femme et des enfans, ce qu’il y a d’essentiel pour l’existence d’un home, d’un foyer, c’est la musique, plus indispensable encore qu’un bon feu, vu qu’on a toujours besoin d’elle, tandis qu’on peut se passer de feu la moitié de l’année. Et sa jolie définition : « La musique, c’est l’amour à la recherche d’un mot. »

Ajoutons que pour lui l’amour était tout :

When life’s all love’t is life ! — aught else, ’t is naught.
Quand la vie est tout amour, c’est la vie : — Autrement ce n’est rien.

Dans cette causerie avec une personne qui lui fut dévouée, je recueillis, je crois, l’essence même de la vie et de l’œuvre de Sidney Lanier. Depuis j’ai lu l’excellente biographie écrite par William Hayes Ward et la si remarquable, si abondante introduction aux poèmes de Sidney Lanier par le professeur Morgan Callaway, et les appréciations quelquefois contradictoires de certains critiques tant anglais qu’américains, et quelques lettres touchantes du poète à sa femme et à ses amis. Si tout cela se confond dans mon souvenir, je m’en excuse et, renonçant à indiquer davantage les sources de la biographie qui va suivre, je me borne à affirmer qu’elle est fondée sur les documens les plus exacts.


III

Il faut d’abord, pour comprendre Sidney Lanier, écarter toutes les idées préconçues qu’on se fait en Europe d’un Américain. Il