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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/421

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horizon borné. Si donc il faut, pour nous satisfaire, une conception une du monde, ce n’est pas du point de vue de la science objective que nous l’atteindrons jamais. Cette science sera toujours incomplète et fragmentaire. Mais si nous changeons de point de vue, si nous rapportons à l’homme, ou plutôt à l’humanité, comme centre, tout l’ensemble des sciences, nous pourrons alors réaliser l’unité cherchée. En un mot, ce n’est pas la métaphysique, c’est la sociologie qui nous conduira à une conception « une et universelle » c’est-à-dire philosophique, de la nature dans son ensemble.

Si nous nous plaçons ainsi, comme il convient, au point de vue de l’homme, peu importe que tant de lois de la nature doivent nous rester toujours cachées. Chaque science ne devra être cultivée que dans la mesure nécessaire au progrès matériel, intellectuel et moral de l’humanité. Chacune sera regardée, non pas comme une fin en elle-même, mais simplement comme préparatoire à la science suivante, puisque seule la science dernière, la sociologie, a en soi sa raison d’être, parce qu’elle est la base de la morale et de la religion. Comte, qui condamne « l’art pour l’art », n’est pas moins hostile à « la science pour la science. » Il ne comprend l’une et l’autre que du point de vue social. Sans doute, la science est, par essence, désintéressée. La poursuite servile de résultats immédiats arrêterait bientôt son progrès. Mais, si libre qu’elle soit de motifs utilitaires, elle n’en sert pas moins à des fins autres qu’elle-même. Dans l’hypothèse, d’ailleurs invraisemblable pour longtemps, où les sciences positives finiraient par assurer à tous les hommes une vie libre et vraiment humaine, Comte n’estimerait pas qu’il fallût les pousser beaucoup plus loin. L’art, plutôt que la recherche scientifique, devrait faire l’occupation de l’humanité affranchie.

Quel est donc, en définitive, le rôle propre de l’intelligence dans la doctrine de Comte ? La question peut sembler embarrassante. Tantôt il représente l’intelligence comme un instrument très noble et très précieux, mais qui ne vaut que selon l’usage qui en est fait. Livrée à elle-même, elle manque de règle et de discipline. L’abus de l’esprit scientifique dessèche l’âme. Il la rend égoïste, immorale et tyrannique. En politique, le gouvernement des hommes de science serait détestable. Comte n’a pas assez de sarcasmes contre ce qu’il appelle la « pédantocratie », d’un nom qu’il est ravi d’emprunter à Stuart Mill. Il cite