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résultats obtenus dans les sciences de la nature sont des approximations qui peuvent toujours être poussées plus loin.

La vérité est donc, à chaque époque, selon les profondes formules de Comte « la parfaite cohérence logique », ou « l’accord de nos conceptions avec nos observations. » L’histoire de la pensée humaine se compose d’une série progressive de périodes alternantes, analogues aux systoles et diastoles du cœur. A un certain moment, l’esprit a mis ce qu’il conçoit d’accord avec ce qu’il sait. Mais peu à peu des faits nouveaux sont observés, ceux qui étaient connus sont mieux interprétés, des découvertes éclatent. L’harmonie entre les conceptions et les observations devient alors précaire. Une discordance, d’abord sourde, puis aiguë, se déclare entre l’expérience et le cadre où l’esprit la fait entrer. A la fin, ce cadre se rompt. De nouveau, l’accord se rétablit sous une forme plus compréhensive, qui à son tour deviendra insuffisante. La philosophie positive, qui reconnaît là une loi sociologique nécessaire, renonce à la chimère de la vérité immuable et absolue. Elle ne regarde plus la vérité d’aujourd’hui comme absolument vraie, et ce qui fut la vérité hier comme absolument faux. Elle « cesse d’être critique envers tout le passé. »

Qu’on le veuille ou non, la relativité de la connaissance entraîne celle de la morale. Si celle-là n’atteint plus l’absolu, celle-ci ne peut être que relative. Kant, « le dernier des grands précurseurs » d’Auguste Comte, a tenté de conserver à la morale un caractère absolu : c’est qu’au fond, il conservait aussi la métaphysique. La loi morale, dit-il, est universellement valable pour tout être libre et raisonnable. Mais d’abord, la seule espèce d’êtres raisonnables et libres que nous connaissions, l’humanité, se développe dans le temps selon les lois d’un progrès nécessaire. Elle n’a pas eu, à chaque phase de ce développement, une égale connaissance de cette loi morale. Tout au plus peut-on dire qu’elle en prend, avec le temps, une conscience de plus en plus claire. Puis l’existence de notre espèce dépend d’un très grand nombre de conditions naturelles, astronomiques, physiques, biologiques, sociologiques. L’ensemble de ces conditions constitue un « régulateur » constant et irrésistible pour la conduite des hommes. Il est clair en effet que les règles essentielles de leur activité doivent, bon gré mal gré, s’ajuster à ces conditions ; autrement l’espèce disparaîtrait aussitôt. L’ordre moral « plus noble » est cependant subordonné à l’ordre physique « plus grossier. »