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somnambulique, que l’on numérote : l’état 3 ; or, qu’arrive-t-il ? c’est que le sujet, dans l’état 3, se rappelle l’état 2. Au contraire, dans l’état 2, il ignore l’état 3. « Lucie 3 — dit M. Pierre Janet[1] — se souvenait parfaitement de sa vie normale ; elle se souvenait également des somnambulismes provoqués précédemment, et de tout ce que Lucie 2 avait pu dire… Il fut assez long et difficile de réveiller alors ce sujet, après un passage de quelques minutes au travers de la syncope déjà décrite. Il se retrouva en somnambulisme ordinaire, mais Lucie 2 ne put pas me dire alors ce qui venait de se passer avec Lucie 3 ; elle prétendit avoir dormi sans rien dire. » — Ainsi, entre deux états somnambuliques successifs, il y a la même différence qu’entre le rêve et la veille. Le rêve ignore la veille, comme l’état 2 ignore l’état 3. La veille connaît le rêve, comme l’état 3 connaît l’état 2. L’état 2 et l’état 3 n’en sont pas moins deux états de même nature. — Donc il reste possible que le rêve et la veille soient deux états de même nature.

Que vaut maintenant la seconde différence ? Nous l’avons dit, elle est très nette, elle est la seule qui soit évidente à la fois pour le sens commun et pour la réflexion précise. D’un côté, il y a réveil, de l’autre, il n’y a pas réveil. Mais est-ce là une différence radicale et définitive, ou ne serait-elle pas plutôt superficielle et provisoire ? Car enfin, il est sans doute vrai qu’on ne se réveille pas de la « réalité » ; il n’y a pas un troisième état où la « réalité » paraisse illusoire et incohérente ; il n’y a pas un troisième état qui soit à la « réalité » ce que la « réalité » est au rêve. Voilà qui est vrai ; mais ce n’est vrai qu’actuellement et dans les conditions ordinaires de l’humanité ; et ce sont là les deux points sur lesquels je voudrais spécialement insister.

Tout d’abord, ce n’est vrai qu’actuellement. En effet, il est possible que le réveil se produise ; il est possible que nous sortions un jour de l’état que nous appelons aujourd’hui la veille ; il est possible que nous passions à un état nouveau, qui serait à la veille ce que la veille est au sommeil ; pour parler le langage de l’hypnotisme, il est possible qu’après l’état 1 et l’état 2, il y ait l’état 3 ; il est possible, par exemple, que la mort soit ce réveil, et nous n’exagérons guère en ajoutant que c’est là le fond même d’à peu près toutes les religions ; il est possible qu’au jour de ce réveil, nous soyons tout étonnés de nous être donnés si

  1. Automatisme psychologique, p. 87.