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reconnût à ses arrêts la force de la « chose jugée » ; comme si c’était enfin fermer la bouche aux auteurs mécontens ou paralyser leur plume entre leurs doigts, que d’écarter leur prose du journal où la critique a trouvé leurs vers mauvais. L’avocat de M. Dubout n’a pas non plus manqué de parler de la « liberté de la défense ; » et, véritablement, à l’entendre, mais surtout à le voir, comme il se démenait, Me Gondinet, quels grands bras il faisait, de quels gestes il nous accablait, comme il suait et comme il soufflait ! vous eussiez dit que c’était nous qui avions traduit l’auteur de Frédégonde en police correctionnelle. « Qui êtes-vous, s’est-il à peu près écrié, vous qui prétendez ici nous imposer silence (il y avait trois heures qu’il parlait) ? et de quel droit voulez-vous nous faire taire (les vitres tremblaient du bruit de sa voix) ? En quel temps vivons-nous, et sous quel régime ? Sommes-nous en France, au XIXe siècle, à la fin du XIXe siècle, et pour qui nos grands-pères ont-ils pris la Bastille ? » Mais je laisse au lecteur, s’il y trouvait quelque agrément, cette rhétorique à développer ; et je restreins encore le vrai champ du débat. Me Gondinet le sait bien, qu’on a toujours le droit de répondre à la critique ; et on en use tous les jours ; et j’en ai moi-même usé plus de vingt fois ; et je me propose d’en user le mois prochain. Il le sait bien, que dans vingt journaux, — sans compter la préface qu’il pouvait mettre à sa Frédégonde, — M. Dubout eût trouvé toute facilité d’épancher sa bile contre M. Jules Lemaître et la Revue des Deux Mondes. Nous les lui eussions nous-mêmes indiqués, s’il ne les connaissait pas ! Mais ce qui est en discussion, il faut bien le dire puisqu’on a feint de l’ignorer, ce n’est pas le droit de penser autrement que moi, ni celui de me contredire, ni celui d’égayer le public à mes dépens : c’est le droit de répondre à une critique dans le journal où a paru cette critique ; c’est le droit de soutenir dans mon journal, en matière littéraire, une opinion contradictoire à la mienne ; et c’est le droit enfin, pour le premier venu, qui se sera fait imprimer n’importe où, d’être chez moi plus maître que moi-même.

Or, c’est bien là ce qu’il y a de grave, et de plus grave encore, on le voit tout de suite, pour une Revue que pour un Journal. Un journal parait ordinairement tous les jours ; et il ne contient, ordinairement aussi, que des articles assez courts ; et, ordinairement, les douze colonnes de la critique théâtrale en sont aujourd’hui le plus long. Mais la longueur moyenne d’un article de Revue varie de seize à trente-deux pages, et une Revue ne parait guère que tous les huit jours, tous les quinze jours, tous les mois, tous les deux mois. La pénalité qu’on