n’a pas oublié des circonstances aussi extraordinaires. Dans un conflit judiciaire entre les compagnies de chemins de fer et l’État, le Conseil d’État a donné raison aux compagnies. Le ministre des travaux publics s’est cru atteint : en tout cas, le coup ne lui avait pas été porté au Palais-Bourbon. On n’avait pas imaginé jusqu’à ce jour que le Conseil d’État, à la manière d’une troisième Chambre, pouvait renverser les ministres. Quoi qu’il en soit, M. Barthou a donné sa démission. Alors l’épidémie a pris, en quelques heures, des proportions gigantesques. Un second ministre ayant donné sa démission, le président du Conseil l’a imité ; tous ses collègues ont naturellement fait de même, et quand M. Dupuy a apporté ces démissions collectives à M. le Président de la République, celui-ci n’a pas pu les recevoir parce qu’il venait précisément de donner la sienne. Voilà certes, une crise dont la Chambre est innocente ! Elle voyait tout l’échafaudage gouvernemental s’écrouler sur sa tête, sans qu’elle y fût pour rien. Il ne s’agissait plus que de réparer le mal, on l’a réparé. M. Ribot a été appelé à la présidence du Conseil : pourquoi l’a-t-il abandonnée quelque six mois plus tard ? La veille de son départ, il avait eu, à propos de la grève de Carmaux, un très grand succès parlementaire. Mais la question des chemins de fer du Sud s’est présentée sous la forme d’une interpellation, interpellation à laquelle personne à ce moment ne paraissait attacher d’importance et qui, de part et d’autre, a été conduite mollement. Elle n’en a pas moins déterminé la chute du ministère, au milieu d’une surprise générale. Tous ces ministres se déclaraient morts dès qu’ils avaient reçu une égratignure. Alors est venu le cabinet Bourgeois. Pourquoi ? Est-ce que la majorité de la Chambre avait changé de place ? Est-ce que, du centre, elle était passée à gauche ? Point du tout : ce sont les modérés qui ont voulu faire l’expérience d’un ministère radical. Il fallait, disaient-ils, en passer par-là. Pour être plus sûrs d’y passer, ils ont tous conseillé à M. le Président de la République de faire appeler M. Bourgeois. Celui-ci a parfaitement compris qu’il prenait le pouvoir dans des conditions peu favorables ; néanmoins il s’est exécuté. On n’a pas oublié le reste ; l’histoire en est encore trop récente. Mais celle que nous venons de rappeler ne montre-t-elle pas qu’on a tort d’accuser la Chambre de 1893 d’avoir manqué d’une majorité stable, et de n’avoir pas pu assurer dès lors la stabilité gouvernementale ? Elle a mérité d’autres reproches, non pas celui-là.
Elle a mérité plutôt le reproche d’inertie et de mollesse que celui d’activité intempérante et désordonnée. Elle s’est trop facilement laissé