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le nouvel Empire. De plus, la tendance générale de ses opinions différait assez de celle qui dominait dans les premières années du régime impérial pour avoir attiré, à plusieurs reprises, sur quelques passages de ses ouvrages, la censure jalouse à laquelle étaient soumis à cette époque les actes comme les écrits des membres du corps enseignant. Cette mesure comminatoire n’était pas sans gravité, puisque l’Empire avait retiré, même aux plus hautes situations de l’Université, avec le caractère de l’inamovibilité, la garantie de dignité et d’indépendance dont l’Assemblée nationale de 1871, à peine réunie, a tenu à honneur de leur restituer le privilège. Nullement agréable et même un peu suspect, comme son biographe nous le représente, aux directeurs officiels de l’enseignement, comment expliquer que ce fut le souverain lui-même qui fût venu le chercher dans sa retraite, pour l’admettre dans l’intimité d’un service personnel, et se décidât à lui confier cette part d’autorité dont les gouvernemens sont habituellement le plus jaloux, celle qui paraît disposer de l’avenir par la direction donnée à l’éducation de la jeunesse ? Et M. Duruy lui-même, cet opposant de la veille, comment s’était-il assez rapproché d’un pouvoir dont il avait combattu l’origine pour consentir à être associé à son exercice ? A la réflexion, il semble qu’on n’a pas besoin de chercher bien loin pour trouver sur quel terrain put s’opérer ce rapprochement inattendu.

Disons tout de suite que, quelle que soit l’injustice habituelle aux passions politiques, personne ne soupçonna alors M. Duruy d’avoir obtenu cette faveur au prix du moindre sacrifice de la dignité de son caractère et de la liberté de ses opinions. Je n’entendis faire, même aux plus malveillans (et il y en avait, j’en connaissais plus d’un), aucun commentaire de ce genre. Et ce que nous avons appris depuis lors montre qu’on eut raison de s’en abstenir.

On savait déjà qu’en consentant à être associé aux travaux du cabinet de l’Empereur, M. Duruy avait tenu à garder son poste d’inspecteur général et refusé de recevoir aucun titre auquel fût attaché un supplément de traitement. On remarquait également qu’invité aux fêtes de Compiègne, il s’était toujours abstenu d’y paraître. Nous savons de plus, aujourd’hui, que, dès sa première conversation avec l’Empereur, il saisit une occasion naturelle pour rappeler quelle avait été son attitude au moment du coup d’État et en expliquer les motifs. Son interlocuteur, ou les comprit, ou, pressé de l’entendre sur d’autres matières, ne crut pas convenable