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M. Duruy n’a jamais autorisé personne à croire qu’il ait méconnu ou regretté la place élevée et prépondérante que l’instruction classique a toujours tenue dans le développement intellectuel de la France. Il avait trop vécu lui-même dans la familiarité et l’admiration des grands modèles de l’antiquité pour ne pas savoir à quel point leur inspiration partout répandue a pénétré la substance même de l’esprit français, en sorte qu’on ne peut dire de quelle langueur il serait atteint, si cet élément vital venait à disparaître de l’atmosphère qu’il respire. Mais M. Duruy n’était pas le premier qui se fût demandé si ces études précieuses pouvaient continuer à faire l’occupation exclusive de toutes les années de l’enfance et de la première jeunesse, en présence de toutes les connaissances nouvelles dont les progrès de la science ont enrichi le savoir humain, et si même une préparation uniforme, quelle qu’elle soit, pouvait convenir aux besoins divers de la vie commerciale et industrielle des temps modernes. Le problème une fois posé, il en avait entrepris la solution avec sa résolution accoutumée. Son enseignement spécial devait, comme le nom l’indique, pourvoir, par une application d’une souplesse pratique, à former des sujets propres à toutes les vocations, pendant que l’enseignement classique continuerait à maintenir dans une sphère plus restreinte une culture plus délicate dont le bienfait se ferait sentir en exerçant une influence générale sur la société tout entière.

L’effet a-t-il pleinement répondu à cette espérance ? Il serait difficile de le soutenir, puisque à l’épithète de spécial on a déjà substitué celle de moderne, dans une autre intention à coup sûr que de faire seulement un changement de nom. Cette nouvelle forme de la même pensée sera-t-elle la dernière ? On peut en douter, puisqu’elle est déjà très vivement attaquée de deux côtés à la fois, et par ceux qui trouvent qu’elle a imposé trop de sacrifices à l’enseignement classique et par d’autres qui se plaignent au contraire qu’elle lui ait encore réservé trop de privilèges. La vérité est qu’on est là en face d’un problème dont il faut laisser le temps et l’expérience trouver une solution qu’on est encore loin d’apercevoir. Les études classiques sont essentiellement désintéressées, c’est-à-dire qu’elles ont principalement pour but non de préparera telle vocation en particulier, mais de former dans l’esprit des qualités générales de justesse, d’étendue et d’élévation qui, une fois acquises, sont applicables à tout et également précieuses,