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suffire pour remplir les cadres historiques les plus étendus, sans que rien ne manque aux multiples soins de détail et à l’examen scrupuleux des documens que réclame la critique moderne, on peut dire que la preuve est faite. Le problème est résolu par deux récits qui, à ces deux points de vue, ne laissent rien à désirer, et qui embrassent pourtant, mis à la suite l’un de l’autre, plusieurs milliers d’années : en sorte que toute autre entreprise du même genre étant nécessairement moins considérable, ceux qui hésitent ou ne réussissent pas à suivre cet exemple ne peuvent alléguer aucune impossibilité, pour excuser leur découragement ou expliquer leur impuissance.

C’est l’Histoire des Romains surtout qui peut servir de modèle. Les origines de la Grèce sont enveloppées de trop d’obscurités, trop de légendes y figurent, que la poésie a embellies sans les éclairer, pour que la méthode historique puisse y être rigoureusement appliquée ; et quelque effort intelligent que M. Duruy ait fait, soit pour démêler dans ces traditions celles qui se rapportent à des souvenirs de faits véritables, soit pour en dégager des symboles qui représentent l’état des mœurs et des croyances de ces temps reculés, les assertions auxquelles il s’arrête sont mêlées de trop d’hypothèses pour ne pas donner lieu à beaucoup de contestations. Il en est autrement de l’Histoire des Romains où, à partir de la fin de la période royale (dont M. Duruy emprunte le récit à Tite-Live sans le garantir, faute d’élémens d’information suffisans pour le discuter), les faits se présentent avec le caractère de la certitude. Le récit s’avance alors sur ce terrain solide, depuis la chute de Tarquin le Superbe jusqu’à la mort de l’empereur Théodose (huit cents ans pour le moins), d’un pas ferme et continu.

Une qualité principale, entre beaucoup d’autres, a permis à M. Duruy de mener à fin ce voyage à travers les siècles : c’est une rare sagacité pour choisir parmi les faits de toute nature, qu’il a dû rassembler, ceux qui peuvent donner leur signification au caractère des événemens qu’il raconte, ou des personnages qu’il met en scène. Cette sobriété est nécessaire pour laisser son intérêt au récit, mais quelle habileté ne faut-il pas pour la concilier avec la satisfaction que réclame la curiosité exigeante du lecteur d’aujourd’hui, et pour ne pas se laisser encombrer, comme c’est trop souvent le cas, par un trop lourd bagage de notes, de citations et de textes à discuter ? C’est l’inconvénient, toujours à