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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/573

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et sans intrigues », couvrait au reste de sa protection hautement déclarée celle qu’il nommait « l’aimable sainte », lui témoignait en toute occasion une sympathie particulière, réduisait au silence les envieux et les détracteurs. Quand tout parut promettre un bonheur solide et justifié, la mort passa sur la maison, et dispersa d’un coup d’aile les douces joies présentes et les beaux rêves d’avenir. Au commencement de l’année 1760, la princesse fut prise d’un mal dangereux, qui dérouta dès l’abord la science des plus célèbres docteurs. « Les princes, remarque à ce propos un homme de ce temps[1], sont, dans une maladie sérieuse, bien plus à plaindre que les particuliers ; ces derniers n’ont pas le malheur d’avoir vingt médecins entêtés dans leurs opinions, et qui ne se peuvent accorder. » C’est exactement ce qui se passa au sujet de la princesse de Condé : les nombreux praticiens appelés à son chevet ne purent jamais s’entendre sur la nature exacte du mal[2], ni sur les remèdes à y apporter. Tandis qu’ils disputaient, la malade succomba, le 5 mars 1760, dans la vingt-troisième année de son âge, laissant un époux désolé, deux enfans orphelins, dont l’aîné avait quatre ans à peine, et toute la Cour dans les larmes.


II

Après la mort de sa mère, la petite princesse Louise, confiée aux soins d’une gouvernante, demeura deux ans encore dans la maison paternelle. Quand elle atteignit sa cinquième année, le prince résolut de la séparer de son frère, et de la mettre en un couvent pour y faire son éducation, comme c’était l’invariable coutume pour les filles de sang royal. Il fit choix de l’abbaye de Beaumont-lès-Tours, située à peu de distance de cette ville, dans la plaine qui s’étend vers le Cher, maison alors célèbre, dont l’abbesse était la grand’tante de l’enfant, Henriette de Bourbon-Condé, connue sous le nom de Mme de Vermandois. Cette dernière, après une courte absence, rentrait alors dans son monastère et se chargea d’emmener sa nièce avec elle. La princesse Louise, en rappelant par la suite ses lointains souvenirs, a retracé le pittoresque tableau de son entrée dans l’abbaye. Elle décrit l’empressement de la foule, réunie dans les rues de Tours

  1. Lettre de M. de Fontenay au prince Xavier de Saxe, avril 1760.
  2. il semble que ce fut une sorte d’empoisonnement du sang, consécutif à la diphtérie.