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que religieux, si l’on en croit les contemporains, et dont les règlemens peu sévères laissaient aux pensionnaires, toutes de familles distinguées, une large indépendance. Au moins en fut-il ainsi pour l’auguste écolière qui franchit, au printemps de 1769, les portes de l’élégante abbaye du faubourg Saint-Germain. Elle y retrouva sa cousine, — depuis sa belle-sœur, — la princesse Bathilde d’Orléans, son aînée de cinq ans ; les deux jeunes filles eurent, dès le premier jour, leur appartement à part, leur train de vie séparé, une table particulière, où elles admettaient tour à tour celles de leurs compagnes, ou même de leurs maîtresses, qui avaient l’heur de leur plaire. Une dame d’honneur pour chacune d’elles, et plusieurs femmes de service, complétaient l’apparence d’une Cour en miniature, où un certain nombre d’élus, inscrits sur une liste spéciale, étaient autorisés à offrir leurs hommages et venaient apporter les nouvelles du dehors[1]. Parmi ces visiteurs, un des plus assidus était sans contredit le jeune duc de Bourbon. Ce fut pour la princesse Louise une joie inexprimable que de revoir ce frère bien-aimé, que sept ans de séparation n’avaient pas effacé de son cœur, et qu’elle retrouvait affectueux, attentif, tendre même autant que le permettait sa nature un peu brusque, et, — comme elle dit elle-même, — « aussi foncièrement bon que déplorablement élevé. » Un an plus tard, à quatorze ans et demi, on le mariait à la princesse Bathilde, qu’on prétendait remettre en son couvent le soir de la cérémonie ; et ce n’est pas ici le lieu de raconter les étranges débuts du ménage, l’enlèvement de la jeune femme par son précoce époux, la surprise scandalisée des deux familles terminée par un éclat de rire, — premier épisode d’un roman bizarre et triste, où ne manquèrent par la suite ni les scènes violentes ni le tragique dénouement. — Quels que fussent, à tout prendre, en ce temps de son adolescence, les défauts et les torts du duc de Bourbon, c’est, dans cette existence tourmentée, un trait infiniment honorable que l’attachement constant qu’il montra pour une sœur d’un caractère si opposé au sien. Malgré tous les obstacles qui s’élevèrent entre eux, « les plaisirs, la mauvaise compagnie, les courses perpétuelles », rien ne lui fit abandonner celle qu’il nommait sa bonne, et dont les douces causeries, — parfois même les remontrances, — parurent toujours lui plaire davantage que les joies équivoques auxquelles il se laissait trop aisément entraîner.

  1. Lettres de Mlle Demars, loc. cit.