Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

habitation de campagne du prince de Condé, qu’il avait abandonnée à sa fille pour y passer les mois les plus chauds de la saison d’été. Là, seule avec ses femmes, — car l’usage interdisait d’y laisser entrer aucun homme, — elle se reposait des entraves de l’étiquette, goûtait avec délices la liberté des champs, se livrait sans contrainte aux travaux les plus rustiques. Quand, dans l’automne de 1771, son père fit réparer le château, on la vit, des semaines entières, « affublée d’un sarrau de toile, de mauvais gants aux mains », aider les maçons, porter le mortier, manier la gâche et la truelle, faire, en un mot, le rude métier de manœuvre. Elle construisit de ses propres mains, dans un bosquet du parc, un « temple à l’Amitié » ; et les poètes de la Cour célébrèrent ces surprenantes façons :


D’un enfant l’instinct malfaisant
Trop souvent le porte à détruire ;
Princesse, ton goût en naissant
Est d’élever et de produire.

Un palais, dans tes nobles jeux,
Réparé de tes mains fragiles,
Nous rappelle ces temps heureux
Où les dieux bâtissaient des villes...


Hâtons-nous d’ajouter que le domaine de Vanves put voir, l’année suivante, des jeux d’un goût plus relevé. Mademoiselle y reçut la visite de ses cousines, Mesdames Clotilde et Elisabeth de France, sœurs de’ Louis XVI ; ce fut l’occasion d’une fête champêtre, dont la princesse, devançant Trianon, traça elle-même le curieux programme. Les filles de France, en arrivant, trouvèrent la maîtresse du logis costumée en fermière, surveillant la traite, battant le beurre, occupée en un mot « aux fonctions de son état. » Elle feint d’être surprise, s’excuse de son accoutrement, fait goûter son laitage, appelle ses femmes, qui, vêtues de déguisemens analogues, offrent chacune quelque présent : un agneau, un nid de fauvettes et des fleurs. Après quoi, Mademoiselle se dérobe u dans un cabinet de verdure », pour y faire sa toilette, et reparaît sous d’élégans atours. L’on se rend toutes ensemble, à travers des portiques de feuillage, vers le temple de l’Amitié ; une « musique délicieuse » se fait entendre ; des voix, s’élevant d’un bosquet voisin, chantent un hymne de circonstance. Puis l’on pénètre dans le temple ; il s’y trouve « un