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la conclusion du mariage souhaité. Si ce motif intéressé fut le seul ou le principal ; ou s’il faut croire Condé lui-même, attribuant sa conduite à des pensées plus hautes, et s’écriant avec fierté : « Je m’appelle Louis de Bourbon et je ne puis ébranler la couronne[1] ! » c’est ce qu’il ne m’appartient pas de décider ici. Constatons seulement qu’aussitôt après la défection du prince, les négociations matrimoniales prirent une activité nouvelle. Ce fut le bruit et l’événement du jour : « Tout Paris parle de ce mariage et le désire, dit un témoin bien informé[2] ; mais le vœu public ne fait pas certitude, et nous sommes toujours entre la crainte et l’espérance. »

Quant à la princesse elle-même, — sans qu’il soit établi que son cœur fût sérieusement engagé dans l’affaire, — comment n’eût-elle pas accepté avec joie la main d’un prince jeune, charmant, attentif à lui plaire, dont l’alliance l’eût placée sur les marches du trône, et retenue en France auprès de tout ce qu’elle aimait ? Mais elle doutait encore, malgré les belles assurances, et, palpitante d’anxiété, attendait impatiemment la décision royale : « Nous voudrions pour beaucoup être de quelques mois plus vieilles, — écrit en janvier 1773 Mlle Demars, première femme de chambre de la princesse, — car le mariage du comte d’Artois doit être décidé et publié en mai... Il n’en coûte rien de bâtir des châteaux en Espagne ; tout ce que nous craignons est que les fondemens n’en soient pas suffisamment solides. » Le mois de mai vint enfin, et le mariage du comte d’Artois fut, comme on l’attendait, publiquement déclaré ; mais la fiancée choisie s’appelait Marie-Thérèse de Savoie, et ce fut pour les Condé « un cruel rabat-joie. » Il est aisé de discerner les causes de cette mésaventure : Louis XV, assez rancunier par nature, en pardonnant au prince ses écarts politiques, n’avait pas oublié les torts d’un cousin qu’il avait longtemps traité en ami ; l’intrigue et la jalousie de quelques gens de Cour, profitant de ce refroidissement, arrachèrent au dernier moment l’ordre qui révoquait les promesses de Maupeou ; et l’innocente victime de ces machinations n’eut pas d’autre ressource que de cacher, au fond de son couvent, ses larmes, son dépit et le regret de ses rêves.

  1. Lettre du prince de Condé à la marquise de la Ferté-Imbault. Archives de la famille d’Estampes.
  2. Lettres de Mlle Demars, attachée à la personne de la princesse. Manuscrits de l’Arsenal.