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son ami, qui, du fond de sa garnison de Saumur, travaille de son côté à se rapprocher d’elle. Il a machiné dans sa tête tout un plan de campagne : quitter son régiment, entrer dans les gardes-françaises qui résident à Paris, se faire présenter à la Cour, multiplier ainsi, sans donner prise aux médisances, les moyens de rencontrer la princesse. Celle-ci prend feu sur ce programme, le soumet à son père ; et le prince trouve l’idée « excellente » de tout point, propose même, au besoin, de mettre son crédit au service du jeune homme. Ainsi tout sourit à leurs vœux ; chaque semaine qui s’écoule rapproche le bonheur entrevu. C’est à la fin de décembre que l’on doit quitter Chantilly : La Gervaisais, à ce moment, demandera un congé ; il sera à Paris quelques jours avant son amie, « afin de n’avoir pas l’air d’avoir été instruit à point nommé. » Dès le début de janvier, sonnera l’heure joyeuse du revoir ; et cette seule perspective leur fait battre le cœur.

Décembre arrive enfin ; le congé est obtenu. La Gervaisais est à Paris, où il attend la lettre qui fixera le jour bienheureux. Il y reçoit en effet un billet de la chère écriture, mais, dès les premières lignes, il pressent le coup qui le frappe. Adieu, les rêves de réunion prochaine ! On le conjure, en termes supplians, de renoncer à son congé, de quitter Paris sans délai, sans revoir, fût-ce un instant, celle qu’il y est venu chercher : « O mon tendre ami, écoutez la prière de votre bonne, partez de Paris avant mon retour. Donnez, donnez à Nina cette preuve évidente de votre tendresse… Que votre réponse ne m’accable point trop ! Tendre et bien-aimé Friendman, nous ne nous verrons pas, mais nous nous aimerons, mais vous m’attacherez encore plus vivement à vous par la plus forte preuve que vous puissiez me donner, et dont mon cœur sentira tout le prix… » La Gervaisais cède à de tels accens ; il ne discute ni ne récrimine, et renonce sans mot dire aux joies espérées. La veille du jour où la princesse regagne pour l’hiver l’hôtel de la rue Monsieur, son ami, l’âme noyée de tristesse, s’arrache de Paris, et rejoint son corps à Saumur.

A quoi tient ce revirement subit ? Que s’est-il donc passé, qui exige un si grand sacrifice ? Rien sans doute que de très simple, rien qui ne fût à prévoir, comme la suite nécessaire d’une situation fausse. On a jasé dans le public, et des bruits se répandent, où la vérité a sa part aussi bien que la calomnie. C’est la terreur qui hantait la princesse depuis son départ de Bourbon. Dès que l’ivresse des jours heureux s’éloigne et se dissipe, elle juge plus