heures un quart. Non seulement Ney, voyant grossir les masses ennemies (la tête de colonne de la division Alten débouchait des Quatre-Bras), sentait de plus en plus la nécessité de leur opposer toutes ses forces, mais, au moment même où la lettre de l’Empereur lui suggérait la belle manœuvre par laquelle l’armée prussienne pouvait être exterminée, il voyait s’évanouir l’espérance de l’opérer. Ney se trouvait sous le feu d’une batterie ; les projectiles battaient la terre et ricochaient autour de lui. On l’entendit s’écrier : « Ah ! ces boulets anglais, je voudrais qu’ils m’entrassent tous dans le ventre ! »
Le général Delcambre, chef d’état-major du 1er corps, survint à cet instant. Pris de scrupules, d’Erlon l’avait dépêché à Ney pour l’informer directement de sa marche vers l’autre champ de bataille. Ney ne réfléchit pas ou du moins ne s’arrêta pas à la réflexion que le 1er corps ne pouvait plus arriver en temps utile à Frasnes, et que l’y rappeler c’était traverser les plans de Napoléon et contrevenir de la façon la plus grave à sa volonté. Sous l’empire de la colère, il renvoya incontinent Delcambre avec l’ordre impératif pour d’Erlon de ramener les troupes à l’aile gauche.
Et cependant ces mots de la lettre de Napoléon : « Le sort de la France est dans vos mains » troublaient et fascinaient l’esprit du maréchal. Ce mouvement qu’il prescrivait à d’Erlon d’interrompre, il n’abandonnait pas tout à fait l’idée de l’exécuter lui-même. Peut-être, par un effort désespéré, pourrait-il encore, malgré la disproportion des forces, rejeter les Anglais au-delà des Quatre-Bras et, une fois maître de ce point, opérer contre l’armée prussienne avec l’aide de d’Erlon, revenu sur ses pas, la manœuvre décisive qu’attendait l’Empereur ? Toutes les troupes avaient été engagées, sauf les cuirassiers de Kellermann et la cavalerie de la garde. Il fit appeler Kellermann :
— Mon cher général, lui dit-il d’une voix précipitée, il s’agit du salut de la France ! Il faut un effort extraordinaire. Prenez votre cavalerie, jetez-vous au milieu des Anglais. Écrasez-les, passez-leur sur le ventre !
L’intrépide Kellermann n’avait jamais discuté un ordre de charger. Il crut cependant devoir représenter à Ney qu’on pouvait évaluer les Anglo-Hollandais à plus de 25 000 hommes, et