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et la Verrerie Sainte-Clotilde, de son côté, reconstituait ses équipes, rallumait ses fours, et remarchait.

Dès le premier jour, la lutte entre M. Rességuier et ses ouvriers se distinguait donc nettement des querelles ordinaires entre ouvriers et patrons, et les ouvriers, comme le patron, non seulement en conviennent, mais insistent même sur le caractère de leur différend. Ils ne bataillent pas pour des questions de salaires, le patron pour payer moins, et les ouvriers pour gagner davantage ; ils ne se font pas un procès vulgaire, pour de simples intérêts courans, mais combattent pour des principes. Les ouvriers dénient à M. Rességuier son droit de patron, et M. Rességuier, conduit sur ce terrain par ses adversaires, entend y rester. Tandis qu’ils prétendent incarner en eux le droit de s’appartenir comme ouvriers, il déclare incarner en lui le droit qu’ont les patrons d’être maîtres chez eux, le vieux droit classique du « charbonnier ».

— Vous, aurait-il dit un jour dans son bureau à l’un de ses verriers, vous êtes un apôtre, je le sais... Vous êtes pour l’abolition du patronat !

Et le verrier, avec cette espèce de gêne que l’employé, longtemps encore, ressentira vis-à-vis du « maître » :

— Oui, monsieur Rességuier, oui, mais pas contre vous...

Et toute la guerre des deux verreries devait en effet pivoter là-dessus : la verrerie avec un patron, et la verrerie sans patron.

— Nous voulons, déclaraient les verriers, que l’ouvrier s’appartienne comme ouvrier, qu’il travaille pour lui, chez lui, à son propre bénéfice, qu’il soit libre, et que les renvois comme celui de Baudot ne soient plus possibles.

— Et moi, répondait M. Rességuier, j’entends m’appartenir comme patron, et pouvoir, par conséquent, me priver de Baudot...

Voilà bien le point de départ des hostilités, et les prétentions dans les deux camps, ce qu’on entendait garder dans l’un, et ce qu’on entendait prendre dans l’autre. La « Verrerie ouvrière », maintenant, a-t-elle réalisé la « verrerie sans patron », et comment l’a-t-elle réalisée ? Est-elle bien la verrerie où le verrier « s’appartient », où il est « libre », où il produit « pour lui », « chez lui », sur « son sol », dans « ses murs », à « son bénéfice », dans « sa verrerie », et où il produit utilement, avec succès, ou l’espérance du succès... ?

C’est ce qu’il était curieux de voir, et où nous allons tâcher