sainte des Hohenzollern, en qui il mettait toutes ses espérances. Il n’a varié que sur un point : dans sa jeunesse, il attachait autant de prix à la liberté qu’à l’unité, il était un impérialiste libéral. Lorsqu’en 1862, il eut reconnu dans M. de Bismarck l’homme du destin, l’instrument d’élection, le grand ouvrier que le Seigneur avait choisi pour travailler à sa vigne et vendanger ses raisins, quelque admiration qu’il eût conçue pour lui, il se tenait sur la réserve ; il applaudissait à sa politique étrangère, il blâmait sa politique intérieure ; il ne pouvait lui pardonner d’en user si cavalièrement avec ses Chambres. Ces scrupules faisaient plus d’honneur à sa générosité qu’à son jugement. Il aurait dû se dire que qui veut la fin veut les moyens, que les prédestinés ne s’amusent jamais à faire la distinction du bien et du mal, que, si M. de Bismarck avait eu plus d’égards pour ses Chambres et pour les prérogatives parlementaires, il n’aurait pu, en 1866, déclarer la guerre à l’Autriche et frapper les grands coups qui ont changé la face de l’Allemagne.
Treitschke se débarrassa bien vite de son libéralisme ergoteur et pointilleux. Ses yeux se sont ouverts ; dans sa ferveur de néophyte, il déclare qu’il n’y a pas d’autre loi sainte que le salut public, « qu’il faut savoir quitter le terrain du droit quand la raison d’État le demande. » Il sera bientôt plus bismarckien que M. de Bismarck ; peu s’en faut qu’il ne lui reproche de ne pas oser assez, qu’il ne blâme la timidité de ses conseils et de sa conduite. S’il n’avait tenu qu’à ce professeur emporté et téméraire, la Prusse victorieuse eût fait main basse sur toutes les couronnes royales ou ducales, supprimé d’un coup et par décret toutes les dynasties et tous les petits États, et se fût annexé l’Allemagne tout entière. Ce n’est pas ainsi qu’a procédé M. de Bismarck. Il a pensé que les conquérans les plus hardis trouvent leur avantage à garder certains tempéramens, que la raison d’État ne justifie pas toutes les violences, que les souverains légitimes qui désirent qu’on respecte leur droit doivent prêcher d’exemple et avoir quelques égards pour la légitimité d’autrui, que la politique est tenue de compter avec le passé, avec les traditions, avec les souvenirs, avec les habitudes, avec les préjugés séculaires, que l’essentiel est de faire œuvre qui dure, et qu’une Allemagne qui n’eût été qu’une grande Prusse n’aurait vécu qu’un jour. Quoi qu’en dise M. Schiemann, Treitschke était un prophète sujet à caution, et en mainte occurrence il s’est montré médiocre politique.
Désespérant de gagner son fils à ses opinions, le général de Treitschke l’engageait à être du moins plus prudent, plus circonspect, à parler moins haut et d’un ton moins tranchant, moins acerbe, à surveiller