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refusant de rattacher ceux déjà accordés au chapitre de la dette publique. Ils protestèrent contre le rôle attribué au Conseil d’État, par le maintien de leurs amendemens repoussés. Ils déclarèrent que le gouvernement n’était pas suffisamment contrôlé dans l’usage des finances tant que les députés de la nation seraient asservis au veto de fonctionnaires révocables, les conseillers d’État. Ils prétendirent que la partie douanière des traités conclus par le Président fût soumise au contrôle législatif. Ils condamnèrent le coup d’État dont ils avaient accepté d’être les candidats à propos d’une loi sur l’interdiction de séjour à Paris et dans l’agglomération lyonnaise. Ils se récrièrent contre l’avancement accordé pour action d’éclat au colonel Espinasse, l’envahisseur de l’Assemblée législative.

Montalembert était l’âme de cette campagne. Emporté par une passion qui, en changeant d’objet, ne changeait pas d’impétuosité, après n’avoir vu dans le Prince que le défenseur de la société et de la religion, il découvrait en lui le novateur révolutionnaire. Il s’était élancé confiant vers l’un ; il se retira scandalisé de l’autre, aussi sincère et aussi désintéressé dans les deux conduites. Les salons et l’Académie l’avaient boudé quand il s’était rapproché, ils l’exaltèrent quand il se sépara. Dès lors, il ne songea plus qu’à effacer, par l’âpreté de son attaque, la véhémence de son adhésion. Il en vint à rougir de ses discours les plus méritoires : il avait été dupe et non complice. Complice ! non, mais pas davantage dupe. On ne l’avait pas trompé, il s’était trompé lui-même. Avec un peu de sang-froid, il eût découvert dans le Président avant le coup d’État ce qui se montra après.

Il résuma tous les griefs du monde politique battu le 2 décembre, dans un superbe discours, dont la portée fut d’autant plus certaine que le Président était venu assister à la séance. Le sachant présent, il le cribla d’allusions mordantes, de comparaisons favorables aux gouvernemens parlementaires passés, d’ironies légères et impitoyables, de coups de boutoir directement portés : « Nous sommes une espèce de conseil général à la merci du conseil de préfecture que voilà (il montrait le banc du Conseil d’État). » Il n’était pas logique, après avoir accordé le coup d’État, de contester les restrictions constitutionnelles sans lesquelles il n’eût été qu’une duperie ou une témérité. Les libéraux les plus autorisés ne les eussent pas refusées au comte de Chambord[1].

  1. Au lendemain de l’événement, un groupe de libéraux fit parvenir au comte de Chambord une note rédigée par Tocqueville, dans laquelle il était dit :
    « Je suis porté à croire, quant à moi, qu’après l’anarchie qui a suivi 1848 et en sortant du despotisme que nous subissons, il sera nécessaire de grande prudence dans le rétablissement de la monarchie constitutionnelle, qu’il faudra d’abord assurer au pouvoir royal tous les droits compatibles avec la liberté et ne reconnaître, dans les premiers temps, à la liberté, que les droits indispensables sans lesquels elle ne pourrait exister. — Ainsi, un parlement où l’on discute librement et dont les discussions soient publiques me paraît une condition sine qua non de la monarchie constitutionnelle ; mais il ne s’ensuit pas nécessairement que le Parlement ne puisse être d’abord fort restreint dans ses attributions et resserré dans la durée de ses travaux. — La liberté de la presse me semble encore une des conditions nécessaires ; mais il n’en résulte pas qu’en dehors de la censure préalable, on ne puisse ni ne doive prendre toutes sortes de mesures contre cette liberté redoutable. » (Gazette de France du 23 novembre 1871.)