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devient plus industrielle qu’agricole et dépend de l’étranger pour une partie de son alimentation, en échange de laquelle elle lui expédie des machines, des rails, des tissus, des vêtemens, en un mot les produits de son industrie. Tout récemment un professeur de l’université de Marburg, M. Karl Oldenberg, jetait un cri d’alarme[1] et trouvait de l’écho, sinon dans le pays, du moins chez l’un des théoriciens de la science financière en Allemagne. Il se demande quel a été le mobile déterminant de l’augmentation de la population industrielle par rapport à la population générale et l’attribue à la tendance du capital, de plus en plus mobile, de s’employer là où il trouve la rémunération la plus abondante, sans se préoccuper des conséquences de son action.


C’est ainsi, continue-t-il, que le capital anglais a développé l’industrie continentale européenne, puis l’industrie indienne ; c’est ainsi que le capital français et belge s’emploie à créer des usines en Russie. Le capital a besoin de recruter des bras de plus en plus nombreux dans les campagnes, afin d’avoir plus de travail et à meilleur marché. A côté de certains avantages que cette tendance peut avoir, elle offre de graves inconvéniens ; le soi-disant progrès n’est qu’un changement des objets de consommation ; la façon de travailler, de gagner sa vie et de s’enrichir est modifiée de la manière la plus fâcheuse : le tout repose sur une base incertaine : il faut désormais à l’Allemagne des approvisionnemens croissans du dehors en objets d’alimentation : sera-t-elle toujours en mesure d’exporter pour une valeur correspondante de ses produits fabriqués ? Rien n’est plus incertain : les pays nouveaux qui entrent en scène, la Russie, l’Inde, le Japon, produisent à meilleur marché et menaceront dans l’avenir l’industrie allemande de concurrences analogues à celles qui font aujourd’hui souffrir l’industrie britannique. Il est mauvais pour un pays de dépendre, quant à son alimentation, de contrées étrangères, qui pourraient à un moment lui refuser ce dont il a besoin.


Le professeur Adolphe Wagner, à l’étonnement général, prétend partager dans une certaine mesure ces inquiétudes. Après avoir considéré le problème au point de vue de sa corrélation avec celui de la population, il se demande pendant combien de temps un État industriel peut soutenir la lutte avec des pays étrangers producteurs : il lui semble que la statistique démontre que l’exportation des produits anglais diminue en valeur et parfois en quantité totale. Il assure qu’en Allemagne l’exportation des produits fabriqués est, dans plusieurs cas, stationnaire ou

  1. Karl Oldenberg, Deutschland als Industrie-Staat, c’est-à-dire l’Allemagne industrielle.