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Capucine à Turin, trappistine en Valais, visitandine à Vienne, bénédictine en Pologne, sans parler des ordres moins célèbres qu’elle passe tour à tour en revue, partout son âme inquiète se heurte aux mêmes désillusions ; partout les mêmes misères, inséparables de la nature humaine, la ramènent brusquement du ciel sur la terre ; nulle part sa soif de perfection ne trouve à s’étancher dans une onde assez pure. « C’est avec une légèreté qui m’étonne toujours, écrit-elle du couvent de Turin, que l’on rogne la part de Dieu pour celle de la créature. A la vérité, la bonne foi est telle, qu’il est possible que Dieu s’en contente ; mais moi, je ne l’ai pas, cette bonne foi, et ne sais comment me conduire. » Toute l’attention, dit-elle encore, se porte sur « d’étroites pratiques et des formalités d’usage », qui ne font guère que « remplacer celles de la politesse et des bienséances du monde » ; la préoccupation de « l’observance » fait trop souvent oublier l’esprit de l’Évangile. La Visitation de Vienne ne la satisfait pas davantage : « Les religieuses, en Autriche, deviennent des gouvernantes d’enfans et des maîtresses de pension. Je ne me sens nullement disposée à exercer ce métier ! » Aux reproches de son père qui déplore, non sans apparence de raison, ses « courses perpétuelles », elle répond avec bonne foi : « Je sais bien que vous ne comprenez guère comment, avec l’envie d’être religieuse, on ne se la fait pas dans le premier couvent venu. Mais, pour moi, rien n’est plus important que le choix d’un ordre qui remplisse les idées que j’ai conçues de l’état et de l’esprit religieux. Ces deux choses devraient sans doute être inséparables dans tous les couvens, mais dans ce siècle il n’en est pas ainsi. » Et elle termine en annonçant que, pour trouver enfin le mystique asile de ses rêves, elle est à la veille d’entreprendre de nouveaux et plus lointains voyages.

Ces « courses » à travers l’Europe, dans la période aiguë des guerres de la Révolution, ne sont pas, comme on pense, exemptes de dangers et de péripéties. L’approche inopinée des « infatigables Patriotes » l’oblige plus d’une fois à fuir, au milieu de la nuit, sous des vêtemens d’emprunt, vers une nouvelle région « où il ne leur ait pas encore convenu » de porter leurs armes ; car, ainsi qu’elle écrit à son père, « il est prouvé par l’expérience qu’ils vont où ils veulent aller, jettent leur vue tantôt sur un pays, tantôt sur un autre, et exécutent tous leurs desseins ».

Mais les pires difficultés qu’elle rencontre proviennent, cette