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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/884

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la marque caractéristique la plus sensible d’un développement naturel... Cependant on ne saurait aller jusqu’à nier toute variation, ni même un changement considérable de proportions et de relations dans le développement des parties. De tels changemens dans l’apparence extérieure ou dans l’harmonie intérieure ont lieu dans la création animale elle-même. L’oiseau en état de voler diffère de sa forme première dans l’œuf. Le papillon est le développement, mais en aucune façon l’image de sa chrysalide. La baleine occupe une place parmi les mammifères, et cependant nous devons penser qu’il s’est opéré chez elle quelque étrange transformation, pour la rendre telle, quoiqu’en apparence si différente des animaux parmi lesquels elle se trouve classée. De même si les bêtes féroces étaient autrefois dans le paradis et ne s’y nourrissaient que d’herbes, elles devaient présenter des caractères bien différens quant à la structure des muscles, des griffes, des dents et des viscères, toutes choses adaptées maintenant à leur existence carnivore. » Je le demande au lecteur impartial : Ne croirait-on pas entendre Darwin ? Mais le livre de Newman est de 1845[1], et l’Origine des Espèces n’a paru qu’en 1859. Et aussi bien n’était-ce d’aucun naturaliste contemporain que l’auteur s’inspirait en écrivant tout ce chapitre, le premier de son livre, sur le Développement des idées ; et si la valeur, bien loin d’en avoir diminué, n’a fait au contraire qu’en augmenter, à mesure même que l’idée d’Evolution se répandait, l’auteur le doit... à saint Vincent de Lérins. Saint Vincent de Lérins était un moine, qui vivait au Ve siècle, et dont le Commonitorium est demeuré la source principale des règles que la théologie la plus exacte applique encore à la question de l’évolution des dogmes[2].

Il y a quinze ou seize ans, — quand j’ai commencé de parler de l’Evolution des Genres, et plus récemment, dans un Manuel de l’histoire de la Littérature française que je viens de publier, — je n’ai pas cru devoir aborder cette question des rapports de la doctrine de l’évolution avec le dogme. Je pensais alors et j’estime toujours que les enseignemens de la Bible ou de l’Évangile n’ont rien de commun avec ceux de l’histoire naturelle ; et, réciproquement, on ne m’a point convaincu depuis lors qu’aucun motif de croire ou de ne pas croire se puisse tirer des profondeurs de la

  1. Le livre de Newman a été traduit en français dès 1848, par M. Jules Gondon.
  2. Voyez le cardinal Franzelin : Traclalus de Scriptura et divina traditione, 3e édit. 1882 ; Rome, p. 278 et suiv.