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d’autres « facteurs », mais qui se contenteraient de ceux-ci pour expliquer les phénomènes de l’évolution. Il y en a même qui disent qu’au plus bas degré de l’échelle, c’est la « conscience », — une conscience obscure et confuse, mais pourtant une conscience, — qui serait l’ouvrière essentielle de la transformation des espèces[1]. On ne le croyait pas aux environs de 1859 ; et l’originalité de Darwin fut alors de substituer à toutes ces actions, considérées par ceux-là mêmes qui les invoquaient comme plus ou moins hypothétiques, et surtout comme insuffisantes, l’action, suivant lui certaine et facile à prouver, de la « sélection naturelle. » Pourquoi u certaine » ? et comment « facile à prouver » ? Parce qu’elle n’était, comme cause de la variabilité, qu’un agrandissement, qu’une extension de la « sélection artificielle » ; et que celle-ci, pour en avoir la preuve expérimentale, il n’y avait qu’à regarder autour de soi : dans le jardin, dans le verger, dans la basse-cour, dans la ferme, dans le haras. La « sélection naturelle », c’est l’ensemble des moyens par lesquels la nature opère comme les éleveurs, ou comme les jardiniers, quand ils croisent ensemble, — ceux-ci pour obtenir des orchidées plus bizarres, des fleurs de rêve ou d’hallucination, et ceux-là des coursiers plus rapides, — leurs sujets les plus rapides ou les plus extraordinaires. Et la condition fondamentale du succès de ce croisement, quelle est-elle ? C’est qu’il ait apparu, on pourrait dire presque par hasard, dans un individu d’ailleurs à tous autres égards conforme au type de son espèce, une particularité ou une singularité qui attire l’attention de l’éleveur, et que, la jugeant utile à ses intérêts, il essaie alors de fixer.

Entendue de la sorte, c’est l’hypothèse de la « sélection naturelle » qui a fait la fortune du livre de l’Origine des Espèces, et j’ajoute, par une conséquence nécessaire, celle de la doctrine de l’évolution. Toute variation constitutive d’une espèce nouvelle a pour point de départ l’apparition dans un individu d’une particularité nouvelle. Il n’y a pas de point sur lequel Darwin ait insisté davantage, et c’est ce que prouveront quelques extraits de son livre :

Le pouvoir de sélection, d’accumulation que possède l’homme est la clef du problème ; la nature fournit les variations successives ; l’homme les accumule

  1. Voyez E. D. Cope, The primary factors of organic evolution ; Chicago, 1896, et la critique de ce livre par M. F. Le Dantec, dans la Revue philosophique de novembre et de décembre 1897.
    Voyez aussi le précieux recueil de MM. Yves Delage et Georges Poirault ; l’Année Biologique, 1895 , Paris, 1897, Schleicher.