chemin, creusent plus profondément leurs vallées à mesure qu’ils s’approchent du Dniestr ; les villages se cachent dans ces plis du terrain. Entre ces lignes de défense, des espaces découverts, des bois pour la guerre de chicane, des routes rares et recroisées en un petit nombre de nœuds, enfin une belle carrière pour ces Cosaques du Kouban chez qui nous souperons ce soir ; mais le singulier est ce caprice de l’histoire, grâce auquel ces Cosaques venus du Caucase sont cependant ici chez eux.
A la fin du siècle dernier, quand toute autonomie fut définitivement enlevée à l’Ukraine, Potemkine se trouva vis-à-vis des Cosaques zaporogues dans le même embarras où le gouverneur de l’Indo-Chine se voyait naguère à l’égard des pirates chinois du Tonkin. Que faire d’une population essentiellement militaire qui ne sait que la guerre et ne veut que la guerre ? Ou la détruire, ou l’employer à la guerre : on put prendre, par bonheur, ce dernier parti. Le Caucase commençait d’occuper les militaires russes ; les zaporogues, transplantés là-bas, s’établirent sur la ligne du Kouban. On sait s’ils y guerroyèrent à l’aise. Maintenant que la besogne est faite, après cent ans, ils reviennent au lieu de leur origine ou bien près, ils rapportent leurs étendards zaporogues, ils rapportent une pure langue petite russienne, de laquelle les philologues se délectent, et rentrant dans Kamenetz délivrée du Polonais, purgée du Turc, reprennent pour la Russie orthodoxe leur métier de garde-frontières.
Mais tout à coup, encore un retard : une députation de paysans barre notre chemin. Ils offrent à Sa Haute Excellence le pain et le sel posés sur une serviette ; le vent frais du soir secoue leur vêtemens de bure, agite sur leurs fronts découverts les mèches épaisses de leurs cheveux, et c’est une grave et discrète assemblée, respectueuse non seulement de celui auquel on parle, mais aussi de celui qui parle. « Puisqu’on nous prendra notre terre après la moisson, pourrons-nous du moins paître nos bestiaux sur nos champs, après ces tirs ?... » Il a fini, mais un vieillard reprend pour distinguer « la terre, notre terre » de la terre du propriétaire ; et le général, qu’on attend ailleurs, clôt le débat par le commandement : « En avant ! »
Et voici le dernier épisode : l’arrivée à Kamenetz, une entrée triomphale dans une ville enchantée. Un peloton de cosaques attendait à quelque trois verstes du terme ; et non seulement l’éclat de leurs costumes, la richesse de leurs armes, mais aussi