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le col galonné du bechmet, de la chemise rouge qui recouvre la culotte de peau rouge ; les gazyri sont, sur la poitrine, ces étuis que remplissent de fausses cartouches au culot d’argent niellé ou ciselé ; la tesma jetée de l’épaule gauche au flanc droit portait autrefois le briquet ; elle sert, si l’on veut, pour la boussole, mais n’est plus en somme qu’un ornement d’argent, recroisé avec le baudrier d’argent. La papaka doit être de fourrure noire ; quelques officiers pourtant la préfèrent brune, et celle du colonel est un énorme bonnet à poil dont l’astrakan blanc frissonne au vent.

A défaut de l’homogénéité apparente, ils ont, ce qui vaut mieux, l’unanimité et la simultanéité dans l’action. Ils manœuvrent ; leurs petits chevaux, braqués sur le mors, courent d’une allure égale et battent le sol meuble avec leurs sabots non ferrés ; passent les cavaliers sombres, sans bruit, car l’équipement du cosaque est fait de choses molles et qui ne cliquètent pas ; puis les longues queues poudreuses pendent parallèlement, les croupes baies s’éloignent, mur vivant où chatoient des reflets mordorés. Les six sotnias ont ainsi défilé successivement ; elles vont plus loin converser, se ployer, se traverser avec cette élégante instabilité qui est le propre de la cavalerie. Revenues à la fin en colonne serrée, leur masse frémit et bout comme dans un vase trop étroit ; elle voudrait s’étendre et se répandre, et tout d’un coup, — des voix qui commandent, des bras qui se lèvent, — elle déborde en effet de droite et de gauche avec un bruit de houle ; elle se déverse à cette extrême vitesse, normale pour le cosaque ; c’est maintenant une marée puissante qui roule et qui gronde vers nous...

Comme elle nous enlèverait, fétus que nous sommes, si l’un de nous n’était justement celui qui dispose d’elle et de bien d’autres forces ! Elle s’est arrêtée à deux pas du général. Les chevaux s’ébrouent ; cette onde de poussière qui roulait tantôt sur leurs pieds s’enlève au vent et peu à peu dérobe la troupe, plus grande maintenant par l’immobilité qu’elle n’était tout à l’heure par le mouvement.

Les précédentes journées nous avaient montré des unités de différens ordres dans les évolutions qui leur sont propres ; mais la leçon que le général donnera ce matin, la leçon de l’attaque traversante, prépare à l’action mutuelle du champ de bataille. Déjà Souvarov pratiquait ces exercices ; faisant se traverser au bout de la manœuvre les deux partis opposés, il évitait qu’aucun d’eux pût