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REVUE LITTÉRAIRE

A PROPOS DU DESASTRE[1]

Voici un livre qui n’a pas craint de se montrer dans un moment où les livres, prêts à paraître, s’entassent au fond des magasins et s’y morfondent, avec l’obscure conscience qu’ils nous trouveraient mal disposés à goûter leurs mérites. Celui-là a triomphé de l’indifférence ou des préventions du public. Il est dans toutes les mains. On le lit, non par vaine curiosité, comme il arrive, pour amuser une heure de loisir, ou par coquetterie d’être au courant, mais parce qu’il faut l’avoir lu. Dès les premières pages une angoisse nous saisit, qui nous prend à la gorge et ne nous lâche plus, mais de son étreinte puissante nous force d’aller jusqu’au bout ; comme, à l’annonce d’une mauvaise nouvelle, nous voulons entendre le récit dans tous ses détails, un âpre désir nous pousse à mesurer l’étendue de notre infortune et nous fait avides de tout savoir. Le livre fermé, nous nous apercevons que cette lecture nous a fait du bien, qu’elle nous laisse non pas attristés, mais frémissans, que nos yeux sont secs et que le sang coule plus rapide dans nos veines. Notre âme a été remuée dans sa partie la meilleure, notre esprit s’est élevé, notre cœur s’est empli de sentimens généreux : le frisson qui s’est emparé de nous est celui d’une fièvre salutaire. Or, ce livre qui réconforte n’est qu’un long récit de misères. Ce livre, d’où nous sortons plus confians dans la vitalité de notre pays, ne nous reporte qu’aux heures de la pire détresse. Et c’est comme un glas que sonnent les syllabes de son titre. Il s’appelle le Désastre.

Je n’ai à présenter au public de cette Revue ni le roman, dont il a

  1. Le Désastre, par MM. Paul et Victor Margueritte, 1 vol. in-12, chez Plon.