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organisait, complétait, administrait. Il fut le défenseur ardent de la jeune institution, en péril plus longtemps qu’on ne le croit. Presque chaque année, il venait à Paris, apportant les travaux des membres de l’Ecole ; et, prouvant par ses œuvres qu’elle était féconde et utile, il s’appliquait à maintenir les dispositions favorables, à lutter contre les volontés hostiles. Que, parmi les sujets traités, il ait eu une préférence pour les essais littéraires, pour les thèses sur la poésie et sur l’éloquence, c’était néanmoins toute l’Ecole, toute la tâche accomplie ou entreprise, quelle qu’elle fût, qu’il faisait valoir. Peut-être nous, arrivés en même temps que lui, l’avons-nous mieux connu que les camarades venus plus tard. C’est qu’il a vécu davantage avec nous, confiant, affectueux. Causeur piquant, éloquent à propos[1], infatigable et inépuisable, il nous a retenus des nuits entières, dans notre jardin, suspendus à sa parole, si bien qu’on n’allait se coucher qu’au lever du soleil. Il nous a accompagnés au cours de plusieurs de nos voyages d’études ; à Eleusis, dans de pauvres fiacres ; à pied, jusqu’au sommet de l’Hymette ; en barque, à l’île d’Egine ; à cheval, à Phylé et, au retour de cette dernière course, comme nous il traversa gaiement le marais de Marathon, dans la vase jusqu’à la selle de nos montures. Très désireux de faire connaître l’Ecole, il invitait à sa table des personnages de choix, principalement les Français en pèlerinage hellénique. Il fit à Renan, que j’avais été heureux de lui adresser, le plus aimable accueil, à l’époque où fut conçue, en présence du Parthénon, la célèbre prière à Athéné. Pendant vingt ans, il a servi et aimé l’Ecole, dont il fut l’un des fondateurs. Son âme très élevée gardait une dignité fière : à qui lui déniait le respect, il l’imposait ; pour ceux qui savaient gagner sa sympathie, il avait, dans leurs accès de nostalgie, ou dans leurs épreuves de famille, rendues plus douloureuses par l’éloignement, une bonté attendrie et consolatrice. Il n’a quitté son poste que pour mourir.

Cette histoire serait incomplète, et aussi l’expression de nos gratitudes, si, à la mémoire de M. Daveluy, je n’associais pas celle d’un homme qui, avec une amitié inaltérable pour lui et un attachement pour l’Ecole égal au sien, l’a constamment aidé dans sa tâche simple et facile aux yeux de certains juges, délicate,

  1. A. Geffroy, qui l’avait eu pour professeur de rhétorique au lycée Charlemagne, écrivait, quarante-cinq ans après, en parlant de lui : « Ses jugemens littéraires, ses appréciations morales nous pénétraient comme des rayons subits. »