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la rive droite ; le peuple la suivait ou masse. Cette fois encore les Anglais silencieux ne songèrent pas à attaquer cette foule en désordre. « Ces intrépides soldats s’étaient changés en femmes et les femmes en héros ; ils semblaient tous avoir les mains liées. »

Le 4 mai, Jeanne marcha en procession avec une partie de la garnison au-devant du détachement qui arrivait de Blois ; les Anglais demeurant dans l’inaction, la troupe défila devant les bastilles et pénétra dans la ville sans avoir reçu un seul trait.

Jeanne harassée s’était étendue sur son lit ; tout d’un coup on l’entendit s’écrier : « Mes voix m’appellent ! Nos gens sont en peine, leur sang coule par terre ! Mes armes ! Mes armes ! Mon cheval ! »

Promptement équipée, elle courut vers la porte de Bourgogne où déjà affluaient les blessés et ceux qui s’étaient enfuis de la bastille de Saint-Loup. L’attaque de ce fort avait été faite sans que Jeanne fût avertie ; mais à peine parut-elle que les fuyards l’acclamèrent et retournèrent avec elle pour attaquer de nouveau. Cet assaut, soutenu par Dunois avec un redoublement de fureur, emporta après trois heures de combat le fort qui fut brûlé et rasé. Jeanne pleura sur les ennemis morts sans absolution ; elle-même, au plus épais du carnage, n’avait pas fait une seule victime.

Le 5 mai, fête de l’Ascension, elle communia et passa la journée en prières. Le 6, la résolution fut prise d’attaquer le guet de Saint-Jean-le-Blanc sur la rive gauche de la Loire ; selon toute vraisemblance, cette décision appartenait seulement aux chefs de l’armée et Jeanne n’avait pas été consultée. D’ailleurs, la perfidie était de la partie, car en même temps qu’on se décidait à agir sur la rive gauche, on annonçait à Jeanne que l’attaque se ferait sur la rive droite. Mais Dunois, qui venait d’apprendre à connaître la Pucelle, lui révéla toute la machination.

En fait, on ne peut comprendre quel attrait ces hommes de guerre éprouvaient pour la rive gauche, puisqu’en nettoyant la rive droite, on débarrasserait par-là même l’autre côté. Mais Jeanne d’Arc n’avait qu’une idée, et peu lui importait l’endroit où l’on agirait, pourvu qu’on agît. Aussi, sans s’attarder à de vaines discussions, ne cessa-t-elle pas d’espérer le succès.

Le 6 au matin, avec les chefs et l’armée, elle traversa la Loire ; on découvrit alors que Glasdale avait évacué et brûlé Saint-Jean-le-Blanc pour se concentrer au fort des Tourelles et à la bastille des