fiévreusement des hommes, et en me reprochant d’exiger qu’ils m’arrivassent pourvus de tout ce qui était nécessaire pour les conduire sur le lieu de l’action et les mener au combat. »
Dans la détresse où l’on se trouvait, en présence d’un ennemi très supérieur en nombre, la prudence la plus élémentaire conseillait de ne pas l’aller chercher, de l’attendre dans de bonnes positions bien choisies et fortifiées. Si on réussissait à l’y attirer, on était certain de le battre, et s’il refusait le combat, on pouvait espérer de l’arrêter dans sa marche, de le prendre en flanc ou d’inquiéter ses derrières, d’intercepter ses convois. Il avait fallu un concours de circonstances extraordinaires pour qu’une armée si nombreuse, recrutée aux quatre coins de l’Ethiopie, se trouvât rassemblée sous le commandement d’un seul homme. Il était permis de croire qu’avant peu elle serait en proie aux mésintelligences, aux jalousies, aux discordes intestines, ou qu’elle aurait peine à se ravitailler, que la famine l’obligerait de se disperser. Jusqu’à nouvel ordre, on devait se tenir sur la défensive, traîner les choses en longueur, préserver la colonie de l’invasion, écarter l’ennemi de sa frontière. Plusieurs membres du cabinet de Rome approuvaient cette tactique ; mais le conseil était divisé et son président poussait le général à l’offensive. Il ne comptait ni avec les distances ni avec le temps, ni avec les lieux, ni avec la difficulté des chemins et des passages, ni avec la supériorité numérique de l’ennemi, ni avec rien. Il télégraphiait le 9 février 1896 : « Souviens-toi que si glorieuses qu’aient été les journées d’Amba-Alaghi et de Makallé, elles ont été deux insuccès militaires, et que tu tiens dans tes mains l’honneur de l’Italie et celui de la monarchie. »
En ce moment-là, si critique que fût la situation de l’armée italienne, Ménélik le sage, le prudent, se déclarait encore disposé à traiter. On avait pressenti le ras Makonnen, et les confidences qu’on avait reçues permettaient de se flatter que l’Italie pourrait conserver tous les territoires où avait flotté son drapeau, à la charge de renoncer pour toujours à l’article 17 et de ne plus parler de protectorat. Le ministère autorisa le général en chef à négocier ad référendum ; mais on lui enjoignait de ne point déroger aux clauses d’un projet de traité envoyé le 18 janvier par le ministre des Affaires étrangères. En vertu de ce traité, Ménélik aurait reconnu la souveraineté directe du roi Humbert sur tout le Tigré et sa suzeraineté sur toutes les dépendances éthiopiennes, jusqu’au-delà des Somalis, jusqu’à des régions inconnues ; le roi des rois eût abandonné au protecteur la représentation diplomatique de l’Abyssinie dans ses relations avec les puissances civilisées ;