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destement. Recrutée parmi les élèves, anciens ou actuels, et parmi les professeurs, la compagnie formait en quelque sorte une division supérieure de l’école, elle en était la représentation choisie et comme l’éclatante floraison. Les concerts devaient assurer l’application et le triomphe public de la doctrine et de l’enseignement. Ce lien, ou cette filiation, n’a jamais cessé d’unir le Conservatoire et la Société des Concerts.

Habeneck pourtant s’était dévoué moins encore à l’intérêt de l’école qu’à la gloire d’un maître. Dans le temple qu’il avait fondé pour Beethoven, il voulut que ce Dieu,

                                  Ce seigneur des seigneurs,
Eût le premier amour et les premiers honneurs.


Il en fut ainsi dès le début ; il en devait être ainsi toujours. La symphonie Héroïque jeta le public en des transports d’enthousiasme et de véritable délire. Les applaudissemens, les acclamations ne finissaient plus. « Cette symphonie, écrit le chroniqueur du Journal des Débats, héroïque de nom et de fait, languissait dans nos bibliothèques, et notre insouciance l’a condamnée pendant vingt ans à un silence bien funeste pour nos plaisirs. » On fit même plus qu’admirer : on alla jusqu’à comprendre, et quand le critique ajoute : « Beethoven a imprimé à cette œuvre une grandeur, une magnificence, une exaltation qui se trouvent de temps en temps modifiées par des phrases d’une mélancolie profonde », c’est là sans doute juger un peu brièvement, mais, après une seule audition, et d’une telle musique, ce n’est pas si mal juger.

Le miracle de l’interprétation fut égal aux merveilles de l’œuvre : « Tout le monde est animé du même zèle ; tous les archets, toutes les embouchures agissent dans la même intention. » Au dire de notre historien, l’un de messieurs les altos surtout accomplit des prodiges : « Dans ce jour solennel où tous les virtuoses ont bien mérité de l’auditoire, s’il faut en distinguer un, je nommerai M. Amédée. Le délire musical le possédait à un tel point, que je commençais à trembler pour ses voisins. Son archet vigoureux abattait les notes, sabrait les accords, pourfendait les doubles cordes, comme jadis la terrible Durandal de Roland moissonnait les têtes des infidèles. La direction lui doit un archet d’honneur. » Artistes, auditeurs, le génie de Beethoven avait envahi et possédait tout le monde. On s’abordait, on se félicitait dans les couloirs ; la foule attendait les musiciens à la sortie pour les acclamer encore et les remercier ; chacun répétait avec un air de