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naturellement désireux d’amener des complications entre Madrid et Washington, et d’obliger le gouvernement américain à prendre fait et cause pour eux. Ce que ni les uns ni les autres ne voulaient et ne veulent encore croire, c’est qu’un navire chargé d’explosifs délicats et difficiles à manier avait pu sauter par suite d’une de ces fautes que la vigilance humaine, même la plus grande, laisse quelquefois échapper. Pour lancer de pareilles accusations, encore faudrait-il avoir des preuves, ou des commencemens de preuves : en réalité, on n’avait rien du tout. Un attentat aussi odieux contre l’humanité, un acte de barbarie aussi sauvage ne peut pas être l’objet d’une simple supposition ; et même si l’explosion du Maine avait été le résultat d’un crime, encore faudrait-il en rechercher l’auteur, et non pas en rejeter a priori la responsabilité sur une nation tout entière. Une enquête a été ouverte sur les causes réelles de l’accident. Elle sera poursuivie tout d’abord dans les eaux espagnoles par des commissaires américains, de sorte qu’elle présentera toutes les garanties désirables, même pour les esprits les plus prévenus. Et pourtant, il est douteux qu’elle apporte des lumières suffisantes à des gens décidés d’avance à fermer les yeux, et qui s’obstineront longtemps encore à répéter, même contre l’évidence, que la catastrophe du Maine a été l’œuvre d’une main scélérate.

Les rapports de l’Espagne et des États-Unis seraient donc en danger si les deux gouvernemens n’y mettaient pas un grand esprit de modération et d’équité. Nous avons déjà dit ce qu’il fallait penser à cet égard du gouvernement espagnol : s’il a commis des fautes dans la conduite des affaires cubaines, il n’en a commis aucune dans ses relations politiques avec l’Amérique. Il serait injuste de dire que le gouvernement américain, au moins jusqu’à ce jour, n’ait pas fait preuve, lui aussi, de bonne volonté. La situation de M. Mac-Kinley a été plus d’une fois difficile depuis qu’il est arrivé à la Présidence de la République. M. Dupuy de Lôme, dans sa lettre à M. Canaléjas, lui a reproché ses ménagemens pour des partis divers : c’est là bien souvent une partie de la politique, et si M. Dupuy de Lôme avait été à la place de M. Mac-Kinley, peut-être aurait-il fait de même. M. Mac-Kinley ne veut pas rompre avec l’Espagne ; il a su garder avec elle des rapports un peu tendus, mais toujours corrects ; il faut lui en savoir gré. Il faut souhaiter surtout, — mais cela par malheur ne dépend de personne, — que la série des incidens perturbateurs soit arrivée à son terme, car, s’il en était autrement, la paix serait bientôt en péril. Que l’Espagne ne veuille pas la guerre avec les États-Unis, tout le monde en est d’accord ; mais les États-Unis certainement ne la veulent pas