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pas au gouvernement anglais le pouvoir de disposer de ses soldats sans son consentement, et d’annuler seul des dispositions arrêtées avec son allié de France ». L’Empereur fut encore moins content de ce contre-ordre cavalier. Les ministres anglais comptaient, pour le calmer et le convaincre, sur la visite de cinq jours qu’il allait faire à la Reine à Windsor (16 avril).


VII

Dans cette rencontre, l’Empereur déploya le charme de ses manières simples, douces, séduisantes, où le naturel se mêlait à la dignité, la franchise au tact, l’insinuation caressante à la réserve digne. Un peu ému et nerveux au premier moment, il se montra le reste du temps simple, gai, spirituel, franc, abordant sans réticences les sujets les plus délicats, récitant l’hymne de Schiller sur la paix et la guerre, chantant de vieilles chansons allemandes, et dansant avec les enfans. « Il est impossible, écrivait la reine Victoria dans son Journal, de ne pas l’admirer beaucoup après avoir vécu, ne fût-ce que peu de temps, avec lui. Il est si calme, si simple, si naît même, si heureux qu’on lui apprenne ce qu’il ignore, si doux, avec tant de tact, de dignité et de modestie. Je ne connais personne à qui je me sois sentie plus prête à me confier et à parler sans réserve. Je ne craindrais pas de lui dire quoi que ce fût. Je me sentais en sûreté avec lui, sa société est particulièrement agréable ; il y a en lui quelque chose d’attrayant, de mélancolique, de séduisant qui vous attire, en dépit de toutes les préventions qu’on peut avoir contre lui, et cela, certes, sans l’aide d’aucun avantage extérieur, quoique sa figure ne me déplaise pas. Il n’y a pas à en douter, il a un pouvoir extraordinaire pour s’attacher les gens. Les enfans l’aiment beaucoup ; pour eux aussi sa bonté a été grande, mais en même temps parfaitement judicieuse. » Dans ses longs entretiens avec le prince Albert, il exposa avec sincérité et presque avec candeur les projets qu’il portait dans sa tête. Sur l’Allemagne, il fut bien éloigné d’exprimer les sentimens qu’on lui a souvent prêtés. « J’ai vu, écrit le prince Albert dans le mémorandum de sa visite, qu’il avait, comme tous les Français, la crainte que l’Allemagne ne devînt trop puissante si elle était fortement unie, et qu’il croit que, la Prusse et l’Autriche constituées séparément, le reste des États allemands pourrait