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accordée au gouvernement anglais, et, sous une forme courtoise, l’ordre de Raglan de débarquer à Balaklava. Donner sa démission, il n’y fallait plus songer ; La Marmora éluda. Il répondit à Raglan que « chaque fois que les opérations de guerre exigeraient su coopération avec la vaillante armée anglaise, il en serait fort honoré, en se plaçant dans ce cas sous les ordres de son illustre chef. » Ainsi il maintenait son indépendance d’action et se réservait la faculté de combattre seul ou de concert avec les Français.

Dégagé des séductions de Windsor, l’Empereur, malgré la concession faite, revint à son projet ; il alla même jusqu’à régler qu’en son absence, le maréchal Vaillant serait le président du Conseil des ministres[1]. Mais voilà qu’un misérable Italien, Pianori, tire sur lui un coup de pistolet aux Champs-Elysées. L’Empereur, préservé par un mouvement imprévu d’Edgar Ney, fut persuadé par cet attentat plus que par tous les raisonnemens. Une acclamation frénétique de joie, de sympathie, de confiance éclata de toutes parts sur ses pas, et il lui sembla y entendre comme une prière de ne pas s’éloigner. Il annonça qu’il y renonçait définitivement (28 avril). Il n’en suivit qu’avec une sollicitude plus ardente les mouvemens militaires de Crimée.


VIII

Canrobert avait succédé à Saint-Arnaud. Petit, les cheveux noirs un peu longs, rejetés en arrière, la figure rouge, les yeux roulans, la moustache relevée, Canrobert était généreux, bienveillant envers ses inférieurs, équitable envers ses égaux, loyal, sans replis ni dessous ; il avait toutes les qualités morales, sauf la simplicité ; il piaffait, se pavanait et s’enflait, et encore, sous ses grands airs de superbe et d’emphase, il restait bonhomme. Au feu, il était d’un entrain irrésistible, communicatif. Jusqu’à ce qu’il eût été investi d’un commandement en chef, il parut un homme de guerre accompli. Même parmi les intrépides de l’Algérie, il s’était fait remarquer. Sa conduite au siège de Zaatcha, quand il était colonel de zouaves, est restée célèbre. La fusillade du boulevard Montmartre, engagée sans ses ordres, l’avait fait complice du coup d’État plus qu’il ne L’aurait voulu. Il essaya d’atténuer cette apparente responsabilité en refusant le grade de chef de

  1. Carnet du maréchal. 21 avril.