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communications séparait jusqu’ici du monde. En dehors même de ses conséquences extérieures, il ajoutera grandement ainsi à la force de l’empire des Tsars, parce qu’il en vivifiera une partie restée jusqu’à présent inerte et permettra la mise en valeur de richesses que leur isolement condamnait à rester stériles. La première conséquence du Transsibérien, et non la moins importante peut-être, c’est l’ouverture du pays qu’il traverse. Ce pays, nous venons de le parcourir, et c’est de lui que nous voudrions d’abord entretenir les lecteurs de la Revue.


I

L’activité des Russes s’exerce en Sibérie depuis plus de trois siècles. A peine dégagée du joug des Tartares, qui avait pesé sur elle pendant plus de trois cents ans et qui avait laissé une empreinte si profonde que bien des vestiges en subsistent encore, à peine reconstituée et unifiée, la Russie a commencé son expansion au dehors, comme l’Espagne l’avait fait peu de temps auparavant, aussitôt délivrée des Maures et unie sous le sceptre de Ferdinand et d’Isabelle. Pays essentiellement continental, elle n’avait point accès à la mer, mais aucune frontière difficile à franchir ne l’arrêtait vers l’est. Elle se tourna de ce côté, et, victorieuse de ses anciens maîtres, s’annexa les royaumes tartares de Kazan et d’Astrakan, dont la conquête porta ses frontières jusque dans le voisinage des monts et du fleuve Oural. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le tsar Ivan le Terrible se trouva possesseur de vastes contrées à peine peuplées, éloignées de sa capitale et difficiles à administrer directement. Il est remarquable que, dans cette circonstance, il se soit formé en Russie, spontanément pour ainsi dire, le même organe qui devait être si utile aux pays de l’Occident : une grande compagnie de colonisation. Les Strogonof, famille de riches industriels et marchands, qui avaient étendu le rayon de leur commerce jusqu’au bassin de la Kama, le grand affluent du Volga, adressèrent au Tsar, en 1558, une pétition où ils lui demandaient la concession de terres dans cette région, s’engageant à y bâtir une ville, à en développer les ressources et à défendre le pays contre les attaques des tribus barbares. Ivan le Terrible acquiesça à leur demande, leur accorda divers privilèges commerciaux, leur conféra le droit de rendre la justice et de lever