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remarquable, c’est que, en quelque direction qu’on s’écarte de Verkhoïansk, fût-ce en marchant droit au nord, on trouve des climats moins rigoureux, grâce surtout à l’adoucissement de l’hiver, car l’été cesse tout à fait de mériter ce nom, sa température moyenne tombant à 9° et même à 3° sur les bords de l’océan Glacial[1].

Il n’est pas étonnant que, dans de pareilles conditions naturelles, les quatre millions de kilomètres carrés que couvre la zone des toundras ne nourrissent que 60 000 à 80 000 habitans Samoyèdes, Ostiaks, Tchouktches, Lamoutes et autres misérables tribus arctiques, au milieu desquelles vivent de très rares fonctionnaires et de plus nombreux exilés russes. Le renne, en même temps qu’il sert aux transports, leur fournit par sa chair leur nourriture, et par sa peau leurs vêtemens ; ils n’ont qu’un autre animal domestique, le robuste chien polaire dont ils attellent leurs traîneaux. On ne peut dire absolument qu’il soit à jamais impossible de rien tirer d’utile d’une pareille contrée et qu’elle ne saurait augmenter en aucune manière la richesse de l’humanité : ne vient-on pas de voir la fièvre de l’or faire accourir sous le cercle arctique des milliers de mineurs, et les scènes de la Californie de 1850 se renouveler dans l’Alaska ?

Ce n’est, en tout cas, que par des richesses minérales dont on ne sait rien aujourd’hui que la zone polaire de la Sibérie pourrait acquérir une importance économique quelconque, et des gisemens d’or extrêmement riches seraient seuls susceptibles de donner, dans une région si inhospitalière, des bénéfices assez considérables pour y faire naître quelques agglomérations de colons temporaires. En laissant de côté cette hypothèse, on peut dire que ces quatre millions de kilomètres carrés de toundras n’ajoutent rien à la richesse de l’Asie russe.

Au sud des toundras commencent les grands bois, d’abord rabougris, réduits à l’état de tiges ligneuses qui rampent sur le sol et dans lesquelles l’œil exercé d’un botaniste peut seul reconnaître les caractères distinctifs du mélèze ; les arbres s’élèvent et grossissent peu à

  1. Les stations météorologiques sont nombreuses en Sibérie, même dans la zone polaire ; si l’on peut se rendre ainsi un compte exact du climat de ces régions désolées, c’est grâce à la présence de malheureux exilés politiques, gens souvent instruits, dont les observations scientifiques sont à peu près la seule distraction dans ces pays où la poste même n’arrive parfois (dans la région de la Kolyma) qu’une seule fois par an !