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par le patriarche Nikon au XVIIe siècle[1] ; mais c’est là un élément sorti des entrailles mêmes du peuple russe. Dans la province de l’Amour, ils formeraient, dit-on, plus du dixième de la population, et la Transbaïkalie est ensuite leur principal centre ; beaucoup y ont été déportés au siècle dernier, leurs descendans vivent en paix aujourd’hui et appartiennent surtout à une curieuse secte qui pousse l’amour de la tempérance et l’horreur des innovations jusqu’à s’abstenir non seulement de boissons alcooliques, mais de thé. Aujourd’hui encore, on punit de l’exil en Sibérie les membres de certaines sectes étranges, comme celle des eunuques, qui sont confinés dans un village du territoire d’Iakoutsk en pleine toundra. Selon la croyance des excentriques sectaires qui adorent Napoléon comme une réincarnation du Messie, c’est sur les bords du lac Baïkal que dort le héros en attendant qu’il vienne, à la tête d’une innombrable armée, établir le règne de Dieu sur le monde entier. En laissant de côté ces sectes extrêmes, on s’accorde à dire que les raskolniks jouissent de l’estime générale, qu’ils sont sobres et laborieux et constituent l’un des élémens les meilleurs et les plus prospères de la population.

Les indigènes, les étrangers et les hérétiques mis à part, nous voici en face de la masse russe et orthodoxe. Dans ce pays qui ressemble à la Russie, mais en accuse davantage tous les caractères, l’immensité, l’isolement, la rudesse et la longueur de l’hiver, la monotonie des plaines sans horizon et des grandes forêts, les traits distinctifs de la population semblent s’être exagérés aussi.

Plus encore qu’en Russie, elle est essentiellement agricole, — l’exploitation des placers aurifères est la seule industrie qui ait acquis quelque importance et elle emploie peu de monde, relativement aux productifs résultats qu’elle donne, — plus encore qu’en Russie l’élément rural, qui comprend les neuf dixièmes des habitans, est un bloc compact de paysans, car en Sibérie la grande propriété n’existe pas. Les quelques nobles dont la statistique accuse la présence sont des fonctionnaires dont les biens se trouvent de l’autre côté de l’Oural, et les seules gens riches du pays sont des marchands des villes qui, en dehors de leur commerce, sont souvent intéressés dans des entreprises de mines d’or et peuvent bien avoir quelque maison de plaisance à la

  1. D’après des statistiques remontant à trois ans en arrière et ne comprenant ni le gouvernement de Tobolsk ni celui d’Irkoutsk, il y aurait 83 000 raskolniks en Sibérie.