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au Champagne ; il ne reste plus en Sibérie que leurs représentai. Les gouverneurs, autrefois presque des rois, ont perdu de leur importance depuis que le télégraphe leur apporte journellement des ordres de Saint-Pétersbourg ; Irkoutsk était naguère une capitale, ce n’est plus qu’une ville de province ; la vieille hospitalité sibérienne, si large et si justement vantée jadis, disparaît, me disait-on, avec l’augmentation du nombre des voyageurs et la fréquence des déplacemens. Aussi trouve-t-on quelques vieilles gens pour maudire ce chemin de fer qui va révolutionner tout le nord de l’Asie.

Lorsqu’on compare la vie des classes supérieures des villes à celle des habitant » des campagnes, en Sibérie, on est encore plus saisi qu’en Europe de l’abîme intellectuel qui sépare les Russes cultivés de la grande majorité de la nation ; c’est là le grand mal de l’Empire des Tsars. Le remède est plus difficile encore à trouver à l’est qu’à l’ouest de l’Oural, parce que la pénétration réciproque des couches supérieure et inférieure, déjà trop faible sur le versant européen, est nulle sur le versant asiatique. On ne voit pas le principe actif, le levain qui pourrait vivifier cette inerte masse des moujiks. Aujourd’hui, les seules gens d’esprit progressif en Sibérie sont les exilés ; et plus d’une industrie locale, brasserie ou autre, leur doit sa naissance. Encore qu’ils soient loin d’être toujours de farouches révolutionnaires, et que ceux qu’on laisse vivre dans les régions méridionales aient souvent été envoyés là pour des péchés bien véniels, il ne semble pas désirable qu’ils prennent de l’influence sur la population qui les entoure. L’Etat ne peut prétendre seul suffire à la tâche de transformer ces paysans, car il ne s’agit pas seulement de les instruire, de leur apprendre à lire, il faut les éduquer complètement, les civiliser. Pour y arriver, il faudrait les mettre en contact prolongé avec des hommes dont l’exemple pût les élever.

Les immigrans, qui viennent depuis quelques années au nombre de plus de 100 000, et bientôt sans doute de 200 000, s’établir en Sibérie, pour être un peu moins grossiers que les Sibériens, ne présentent cependant pas avec eux des différences assez grandes pour pouvoir exercer une influence sérieuse. L’absence de toute grande propriété doit être vivement regrettée ; en Russie d’Europe, les grands propriétaires, lorsqu’ils ne se sont pas abandonnés après l’abolition du servage, — ce qui a trop souvent été le cas, — jouent un rôle des plus salutaires ; nous en avons connu