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cieuse, troublée seulement par le bruit sourd des avalanches. On savait seulement que cet homme était venu autrefois d’Italie, et que ses planches y retournaient, couchées sur de longs fourgons, au tintement des sonnailles. Et c’est de lui que nous venaient ces visions aperçues entre des cadres d’or, comme descend des glaciers l’eau qui s’encadre dans les margelles de nos fontaines…

Bien que né à Arco, près du lac de Garde, sur le territoire du Tyrol, Giovanni Segantini est Italien. Son œuvre est donc le frêle espoir d’une renaissance artistique au pays de la Renaissance. Elle est la soldanella alpina qui sort péniblement, çà et là, de la neige, sur le versant des Alpes, annonçant le printemps… Il ne suffit pas de saluer cette chose qui naît. Il faut essayer de dire ce qu’est cet artiste dont l’originalité tranchante commence d’émouvoir la critique en Allemagne et en Angleterre ; de déterminer ce qu’il doit à ce pays de l’Engadine qu’il a esthétiquement découvert, ce qu’il a emprunté aux écoles modernes, puis à quoi lui a servi cette étrange discipline qu’il s’est imposée, en un mot, où consiste la nouveauté de sa tentative et réside son originalité.

I

Quand Nansen raconte les impressions ressenties par lui au milieu de la banquise et qu’il a décrit la plaine immense, blanche et grise, semée de lacs noirs et qu’il a peint les hummocks et les glaçons immaculés flottant dans ces lacs et découpés en figures fantastiques, il laisse échapper ce cri : « Toute cette merveilleuse sculpture sera détruite sans qu’aucun œil humain ait pu la contempler ! » Devant les effets atmosphériques mémorables et changeans de la haute montagne, beaucoup de paysagistes ont eu le même regret. Beaucoup ont souhaité de demander aux glaciers le secret non de leur formation, mais de leur beauté, et de nous le livrer. Les uns, comme M. Baud-Bovy, ont produit des travaux utiles peut-être pour l’étude des lois de l’optique et de la topographie. D’autres sont morts à la tâche, comme l’abbé Guétal, ce prêtre paysagiste dont le Lac de l’Eychauda, au musée de Grenoble, est un des essais les plus curieux de paysage alpestre. Peut-être même qu’en perdant cet artiste au début de sa carrière, l’art français a perdu un de ceux qui, dans ce siècle, lui auraient fait le plus d’honneur. En Allemagne, M. Defregger s’est consacré tout entier à peindre les mœurs du Tyrol. Ces exemples suffisent à