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d’aphorismes tranchans, et analysez l’impression qui les a dictés : vous n’aurez point de peine à reconnaître que, en réalité, cette impression est juste.

Il ne s’agit point ici évidemment de rabaisser en aucune manière la valeur d’œuvres comme le Demi-Monde, comme le Fils naturel, ou comme l’Ami des femmes. Le prodigieux tempérament de leur créateur, à défaut d’autres mérites, aurait suffi à leur faire une place à part, et au premier rang, dans notre littérature dramatique contemporaine. Le seul point qu’il importe d’établir c’est qu’elles ne valent pas par où elles prétendaient valoir ; c’est que, visant à la peinture des caractères et des mœurs, elles ne nous donnent que des tableaux d’un relief assez mesquin et d’une exactitude assez contestable ; c’est que les observations, sur lesquelles elles s’appuient, apparaissent douteuses, superficielles et trop abstraites, pour nous procurer la sensation de la nature vivante. Par ce fait même qu’Alexandre Dumas fils possédait un tempérament très personnel et très absolu, il manquait de désintéressement dans la contemplation du monde extérieur ; très jeune, il avait adopté un certain nombre de théories philosophiques et sociales, et il ne regardait les hommes et les choses qu’à travers ces théories préalablement arrêtées. Quand, par bonheur, elles s’adaptaient rigoureusement aux objets qu’observait l’écrivain, la puissance et l’acuité de sa vision acquéraient un degré d’intensité extraordinaire ; quand elles ne s’y adaptaient point, elles obscurcissaient et elles déformaient, sans qu’il eût l’air de s’en apercevoir, les réalités les plus élémentaires, les plus aisément perceptibles par l’œil le moins expérimenté.

Aussi, dans le cycle qui va du Demi-Monde, jusqu’à et y compris l’Ami des femmes, tâchez de dénombrer les héros-types qui émergent de la foule des autres personnages, non pas amorphes ni indifférents d’ailleurs, mais assez fantaisistes et romanesques : en dehors peut-être du comte de la Rivonnière, pour qui Dumas père a posé, en dehors aussi de certains individus de second plan, comme de Tournas, vous ne trouvez véritablement que deux figures solidement dessinées : l’une, c’est celle du théoricien raisonneur, combatif, cachant soigneusement sa sensibilité derrière un voile de scepticisme ironique, fort occupé des femmes, un peu fat et agaçant du reste avec sa perpétuelle prétention de jouer les directeurs de conscience, cérébralement très frondeur, mais très honnête homme au fond, très humble desservant en définitive de