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pas agressive ni taquine comme celle de Voltaire, mais calme, comme celle de Buffon, tranquille et sûre d’elle :


Je ne veux point, couvert d’un funèbre linceuil,
Que les pontifes saints autour de mon cercueil,
Appelés aux accens de l’airain lent et sombre,
De leur chant lamentable accompagnent mon ombre,
Et sous des murs sacrés aillent ensevelir
Ma vie et ma dépouille, et tout mon souvenir.


Plus significatif encore que ces vers, — qui pourraient nôtre qu’une boutade, — est le dessein de son Hermès, tel que l’a résumé Sainte-Beuve dans ses Portraits littéraires : « Par ses plans de poésie physique, y dit-il, en retournant à Empédocle, André était le contemporain et le disciple de Lamarck et de Cabanis ; il ne l’est pas moins de Boulanger et de tous les hommes de son siècle, par l’explication qu’il eût tentée de l’origine des religions… On a peu à regretter qu’André n’ait pas mené plus loin ses projets : il n’aurait en rien échappé, malgré toute sa nouveauté de style, au lieu commun d’alentour ; et il aurait reproduit, sans trop de variantes, le fond de d’Holbach ou de l’usai sur les préjugés. » Sainte-Beuve a raison. Mais, après cela, n’est-on pas étonné qu’il ait pu faire de l’auteur de l’Hermès un précurseur du romantisme ? et par hasard en faudrait-il conclure, avec M. Louis Bertrand, que Sainte-Beuve n’aurait rien compris au romantisme ?

Quelque scandale que cette opinion doive soulever, et sans doute ait soulevé déjà dans les « milieux universitaires », je la crois juste. « A mesure que Sainte-Beuve s’éloigne de nous, — écrit M. Henri Potez, en l’opposant à Taine et à Nisard, — il grandit de plus en plus. » Je le veux bien ! et au besoin j’en dirais les raisons. Mais sur cette question des origines romantiques, comme aussi sur la question des caractères du romantisme, on ne saurait se méprendre davantage et nous commençons maintenant à le voir. Il a fait et on a fait depuis lui consister le tout du romantisme en une révolution de la prosodie et de la langue ; et, sans rien dire ici de la prosodie, il est certain qu’une révolution de la langue, étant toujours, ou la cause, ou l’effet d’une révolution de la manière de penser et de sentir, elle est donc toujours aussi, dans l’histoire littéraire, un événement considérable. Mais Sainte-Beuve ne l’a pas entendu précisément de la sorte. Il n’y a guère vu qu’un enrichissement du vocabulaire, un assouplissement de la syntaxe, un peu plus de liberté dans le choix des tours ou des mots. Et quant à la prosodie, un exemple suffit pour montrer l’étendue de ses revendications.