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être si indigne, car l’homme n’est que faiblesse, et je me sais le plus faible des hommes. »

C’est avec ces sentimens que Steinle a traversé notre siècle. A Vienne, où il est retourné en 1833 et où il s’est marié, à Munich où il est allé peindre à fresque auprès de Cornélius, à Francfort-sur-le-Mein, où il a tranquillement vécu les quarante-sept dernières années de sa vie, sa Correspondance nous le fait voir menant de front la peinture et les pratiques pieuses, aussi inébranlable dans sa foi que dans son ardeur au travail. Ses correspondans sont ou des peintres, ou des prêtres et des théologiens : et aux uns comme aux autres il écrit du même ton simple et recueilli, fidèle reflet de la pureté de son cœur. On ne saurait imaginer un plus parfait modèle de l’artiste chrétien : doux, modeste, charitable, sans ombre de jalousie ou de malveillance, multipliant les œuvres et adorant Dieu. Tels ont été jadis, tels du moins il nous semble aujourd’hui qu’ont dû être les vieux peintres italiens, les Giottino, les Lorenzo Monaco, les Sano di Pietro, ces maîtres préraphaélites que Steinle avait raison d’aimer, car de toute son âme il leur était pareil.


Le seul malheur est qu’avec une âme très belle il manquait de talent, ce qui ne laisse pas d’ôter à ses lettres une part, sinon de leur intérêt, du moins de leur portée et de leur efficacité morales. Ou plutôt on ne peut pas dire qu’il ait manqué de talent : il avait au contraire tout le talent que sauraient donner une application infatigable, un constant désir de bien faire, une exemplaire probité artistique, beaucoup de bon sens, et une dextérité manuelle plus que suffisante. Ses peintures sont incontestablement les mieux peintes de toutes celles des Nazaréens : le dessin y est à la fois élégant et ferme, la composition harmonieuse, la couleur même assez agréable. A une autre école, où il eût eu l’occasion d’apprendre plus à fond son métier, et où il eût trouvé un idéal plus en rapport avec ses moyens naturels, peut-être serait-il devenu un excellent peintre. Mais dans l’école dont il faisait partie, il n’y avait pas d’emploi pour son talent, ni même pour aucune espèce de talent. Le génie seul pouvait y sauver de la médiocrité : et Steinle, cela est trop certain, n’avait pas de génie. Il n’était pas de taille à traduire, dans notre temps, les naïves visions de jadis, d’une façon qui fût tout ensemble conforme au goût de notre temps et naïve et pure comme celles des anciens. Les préraphaélites qu’il s’était donnés pour maîtres, et dont l’aine en effet était parente de la sienne, les Giottino et les Lorenzo Monaco, ne lui étaient peut-être pas